Mars Express
7.5
Mars Express

Long-métrage d'animation de Jérémie Périn (2023)

Nous vivons dans une société dans l'espace

Il serait peu dire que Mars Express s'est fait attendre, et qu'il était attendu lors du festival d'Annecy 2023. Un film d'animation de SF française qui a mis près de 5 ans à se faire, par le réalisateur d'une série populaire (Last Man) à la direction tranché et radicale, qui fût un des seuls réalisateurs à voir son film projeté au festival de Cannes. Les films d'animation passant à Cannes ont eu la tendance d'obtenir un prix au palmarès d'Annecy, pour la simple et bonne raison Darwinienne qu'il est difficile de rentrer à Cannes quand on est un film d'animation. Réussir à rentrer à Cannes, c'est s'assurer une certification de qualité filmique et artistique que n'ont pas les films qui n'y sont pas (sauf à de rares exceptions comme Aya et la sorcière de Goro Miyazaki qui a surement eu un passe droit grâce au nom du studio Ghibli qui y était attaché). Cette année, ce sont trois long métrages d'animation qui étaient à Cannes. Le premier était Linda veut du poulet, présenté à l'ACID, et qui est reparti avec le crystal du long métrage ainsi que le prix de la fondation Gans. Le second était Robot Dreams, film projeté en séance de la plage, sélectionné à Annecy en compétition Contrechamp, et qui est reparti avec le grand prix contrechamp. Sélectionné lui aussi en séance de la plage, on pouvait s'attendre à ce que Mars Express soit présent au palmarès, que ce soit en prix du jury ou à minima pour une mention spéciale du jury... le film n'a rien reçu. Est ce que c'était un oubli du jury ou bien le signe que le film n'est pas une réussite ? J'étais septique, et après Annecy, j'étais réticent, mais la seule bonne manière de juger un film est de le voir.


Si on regarde purement l'univers du film, Mars Express est passionnant. C'est un pur univers de SF dystopique qui lésine pas en détails et en trouvailles pour donner à voir. Le film est un immense meltingpot en le film noir, le film d'enquête, et l'univers SF à la Blade Runner, ce qui offre des décors et un cadre parfaitement homogène entre la fantaisie du futurisme frictionné, et la rationalité d'un film policier qui demande une clarté particulière pour bien poser l'enquête. Il est question de se perdre, au même titre que les personnage, dans un univers qu'on va apprendre à détester et à juger afin de porter une réflexion sur le monde réel (on y reviendra plus tard), et à ce compte là, le film se débrouille admirablement bien. Le secret réside dans un scénario qui est simple de meurtre et de disparition au milieu d'une grande révolution sociétale anti-robot porté par les humains, qui recentre l'attention sur l'image et sur ce qui se passe à l'instant présent. Les meurtres deviennent plus forts, les moments d'actions sont plus intenses, et les moments de pauses sont plus signifiants. Il y a tout un jeu sur l'expression faciale des personnages qui est mis en avant, que ce soit dans leurs embarras ou dans leurs incompréhension qui est vraiment intéressant, et apporte beaucoup de légèreté dans un film qui sait être oppressant. Mon soucis est que, derrière un univers assez riche et développé, se cache un film vide et inconsistant.


Le film repose sur une enquête aux ficelles grossières, dont on peut y voir toutes les coutures ou presque, et qui ne raconte pas grand chose, si ce n'est un discours qui transpire déjà dans l'univers. Mars Express une œuvre à la Mutafukaz, ou même dans les mauvais instants de J'ai perdu mon corps, qui se sent obligé de démontrer une forme de maturité qu'il n'arrive pas à avoir et/ou qu'il n'a pas. D'entré de film, et c'est voulu par le réalisateur, le film te prépare à une expérience qui se veut éreintante et physique, où l'on hésite pas à montrer de la violence et de la transgression. Le soucis est que le film n'arrive pas à tenir le même niveau de précision que sa scène d'intro, qui tape beaucoup trop fort pour ce que le film propose dans son intégralité, et créé une attente qui ne sera réellement remplit. L'enquête patine de trop, et est trop souvent rythmés par des apartés où les agents sont dans leurs vies privés qui réemployé beaucoup de clichés liés aux films d'enquêtes et au film noir qu'on a déjà vu cent fois ailleurs. Que ce soit l'enquêtrice qui se morfond dans l'alcool et a un problème d'alcoolisme, ou même l'assistant qui n'arrive pas à voir sa fille car elle vit maintenant chez sa mère qui refuse à lui parler... tout y est (ou presque) et donne l'impression de voir un film en retard et faussement innovant. Cette fausse innovation se retranscrit aussi dans la réalisation et les graphismes très aléatoires, et les cadres vraiment basiques voire simplistes. J'aurais surement plus d'indulgence car certains tableaux sont beaux (même si certain comme le tableau de fin fait bâclé), et j'aurais pu accepter que le film a été un enfer à animer et à produire car ayant mis près de 5 ans à se faire... chose que le réalisateur a démenti lors de l'entretient avec le public qu'il a tenu lors de la projection du film où il a assuré avoir eu les moyens de ses ambitions. Dans ce cas, comment pardonner des plans aussi statiques, aussi maladroits (notamment lors de plans suggestifs de marche qui sont parfois du niveau d'un court métrage étudiant), et une réalisation en dent de scie ? Il y a bien des scènes fortes et percutante, notamment les mises à morts qui sont d'une violence sans nom, et qui rappelle la manière dont certains personnages meurent dans des grandes franchises (attention spoiler de The Amazing spiderman 2) dans la manière d'intensifier le décès par l'instantané... mais c'est vraiment trop situationnel.


Mais plus que la manière grossière de présenter le récit, c'est le récit même qui a d'énormes soucis de cohérences et d'intérêts. Plus que des détails comme "Pourquoi Rubis va dormir chez un suspect et va encore et encore parler chez le professeur d'une des victimes ?" (mis à part pour renforcer le cliché un peu vieillot de l'enquêteur qui se focalise sur l'un des témoins, je n'explique pas les nombreuses scènes où Rubis se retrouve chez le professeur), ce qui me dérange c'est le propos même du film, ou l'absence de propos dans le cas précis. Si je devais résumer le propos du film, basiquement le film dit qu'on vit dans une société. On pourrait se dire que c'est la base même des films sur un monde dystopique, mais visiblement le film est fier d'avoir comprit cela, et va porter cela comme thème principale de son film, sans réel apport qui aurait donné un intérêt supplémentaire. Dans le film Joker de Todd Philipps, qu'on aime ou non le film et la manière parfois un peu simple d'esprit de dire que nous vivons dans une société, il avait au moins le mérite de ne pas se centrer sur cela, mais de parler de l'état mentale d'un personnage brisé par ce système, et de centrer son récit sur la manière dont celui-ci va exacerber sa haine du monde contre ceux qu'il juge coupable de son malheur. Ici, on a un récit, d'une banalité inquiétante et à l'exécution scolaire, qui répète sagement ce que des dizaines de films noirs ou de science fiction apocalyptique ont déjà dit avant. Cela se retranscrit à travers l'écriture des personnages, ainsi que dans le jeu des acteurs qui, lorsqu'ils ne sont pas habitué avec le monde du doublage, se retrouvent à patiner tant ils n'ont rien de concret sur quoi se rattacher. Léa Drucker est souvent fausse dans ses intentions et dans son jeu car son personnage est creux et qu'elle n'a pas l'habitude de créer un caractère propre à un personnage sans qu'on la dirige (chose qui semble ne pas être le cas). Tout ceci contraste vraiment avec un ton parfois prétentieux, lié au fait que le film se veut toujours dynamique et attrayant (chose qu'il n'arrive pas toujours à être), ou encore à son plot twist qui est vraiment décevant au mieux.

C'est donc après une enquête pour disparition, puis pour meurtre que l'on se rend compte que les mercenaires qui cherchaient l'étudiante voulait exécuter les volontés du gouvernement qui ont injecter un ordre de suicide aux robots, pour lancer une nouvelle vague de robots organiques. La chose étant que tous les politiciens sont corrompus, que nous vivons dans une société, et qu'il fallait éliminer toute trace de cela pour éviter que cela ne s'ébruite... sans qu'il n'y ait d'enjeux particulier. Lors de la scène de climax où Rubis meurt, j'avais l'impression que les politiciens servaient juste à représenter le mal incarné et qu'il n'y avait rien à réfléchir autre que "les puissants sont méchants, c'est comme dans le monde réelle, nous vivons dans une société". Ce qui est autant plus perturbant, c'est la finalité même du film, où l'assistant de Rubis va pour abandonner la terre et se "suicider" dans le vaisseau Mars Express pour (peu être) se poser sur un nouveau lieu habitable, avec pratiquement aucune chance de survis... c'est d'un pathos, mon dieux... mais c'est aussi un aveux d'échec du film. En effet, faute de vouloir raconter quelque chose ou même chercher à donner un propos sur cette société qu'on a mis 1h20 à nous présenter, le film décide d'abandonner et de laisser son système dystopique comme "parfait" en disant que rien ne pourra l'ébranler. Il y a une forme de radicalité et de propos sans retenu, ni demi mesure, qui fait immature et franchement bête au vu de ce que le cinéma a déjà proposé dans le genre.

Au lieu de me focaliser sur le positif et de ne garder que l'univers riche et foisonnant, on ne retient qu'un très gros potentiel qui n'avait pas les moyens ou même le talent d'y arriver. Cela me rappelle Sing a bit of Harmony, un film avec un monde futuriste qui avait aussi beaucoup de soucis sur la construction du monde futuriste qui prenait le pas sur tout le reste mais qui, à la différence de Mars Express avait le mérite d'être divertissant, faute d'être pleinement agréable. Sing a bit of harmony avait peu être un univers qui ne se tenait pas, mais au moins avait fait l'effort d'avoir un propos et une histoire cohérente, là où Mars Express a tout misé sur un univers qui fait attraction de fête foraine sans réflexion. Mars Express est finalement aguicheur et prétentieux pour peu de résultats concrets.


8,5/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 4 oct. 2023

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