Paul Thomas Anderson, ouvrier carreleur confirmé

Mettre en scène 9 protagonistes, avec leurs liens, leur histoire, créer cette mosaïque en bribes de vie, cet amoncellement d'existences, c'est presque s'assurer de perdre son public. Tentez par exemple de fixer une unique dalle d'un carrelage uniforme, aussi grande que puisse être votre concentration, un moment d'évasion et vous l'aurez perdue. Mais chez Paul Thomas Anderson, vous n'évoluez pas sur du vulgaire carrelage de tomate rouge. Il est particulier.

D'abord par la forme des carreaux. Anderson filme 9 silhouettes et il est difficile de dire ce qui, du talent indéniable de la troupe ou de la direction probablement irréprochable du réalisateur, est le principal fer de lance de l'oeuvre. Du Cruise déchainé au Seymour Hoffman magistral en passant par la délicieuse Julianne Moore, je crois que peu sont les faiblesses de jeu susceptibles de nuire à l'expérience. Le maniement de la caméra dans ces conditions ne fait, malgré sa simplicité, que dynamiser, magnifier la banalité de la fresque dans une esthétique travaillée. De belles dalles donc, mais cela ne suffit pas.

Paul Thomas Anderson n'a pas de pierre plus noble que les autres pour dresser son assemblage. Ce qu'il filme a du relief, mais rien de bien profond et même tout ce qu'il y a de plus vu, revu et primaire: la bêtise, la maladie, la mort. Il n'a que la surface houleuse de la vie déchirée de pauvres gens. Pourtant, vous avez bien compté, il y a maintenant 3 heures qu'il vous passionne avec ces histoires, 3 heures que vous avez les yeux rivés sur un carrelage d'une apparente froideur.

Vient maintenant la jointure d'un pavage dont la structure si simple fait qu'il est d'autant plus difficile de le rendre beau. Pour monter son patchwork, Paul Thomas Anderson sort le grand jeu des coïncidences, tous ces destins sont liés par le hasard de la vie, plus ou moins directement mais jamais grossièrement. Ce lien est enfin poli avec une bande originale variée, omniprésente au début, qui s'éteint progressivement pour finalement revenir appuyer les rebondissements apportant de l'épique, de l'intensité à ce que le film nous désigne pourtant comme une banale fatalité.

Avec du bon joint, de jolis carreaux bien taillés et allégrement coloriés, l'artisan est capable de beaucoup mais pas de Magnolia.
Il y avait quelque chose de plus derrière votre écran.
Il y avait en fait cette aura que seul PTA, en sa qualité de mosaïste royal, de paveur virtuose et avec ces outils que l'on appelle passion et talent semblait pouvoir imprimer.

Le dernier coup de pinceau peut décevoir et si vous avez glissé sur ce carrelage, ce sont des choses qui arrivent.

Mais seulement aux mauvaises personnes.

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le 26 févr. 2015

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Deleuze

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