Parce que le bonheur tient à peu de chose, la comédie musicale s'alimente de trois rien afin de conquérir nos cœurs. Une intrigue dégraissée en enjeux dramatique, un soupçon de psychologie, un zeste d'écriture, une poignée de stéréotype et surtout une bonne rasade de musique, de danse et de bonne humeur suffisent généralement à nous mettre du baume au cœur et le sourire aux lèvres. Et puis, si par chance, viennent à prédominer la maîtrise technique et la dérision, comme c'est le cas dans My Sister Eileen, on est sûr d'assister à un bon petit moment de cinoche.


La légèreté, pour qu'elle puisse agréablement communiquer ses effets, doit déjà irriguer le film en profondeur. Pour ce faire, Richard Quine, bien aidé par Blake Edwards au scénario, fait peu de cas du sérieux et s'amuse des lieux communs : les traits forcés jusqu'à la caricature dessinent des personnages cartoonesques dont les petits travers feront les grands amusements. Ainsi, on ne s'étonnera pas de croiser autant de poncifs qu'il y a de personnages, à commencer par les deux principales protagonistes, deux donzelles zélées aux caractères typés. Il y a Ruth, la brune, forcément pas très belle, forcément intello, souffrant forcément dans l'ombre d'une sœur qui est son parfait contraire. Eileen, cette dernière, est une pimpante blonde, qui a tout de la pin-up, avec des rêves de gloire plein la tête et les hommes à ses pieds. Les autres personnages ne sont pas en reste, que ce soit le peintre grec, au nom imprononçable et au look inimitable, ou le "lover" entreprenant, interprété par un Jack Lemmon irrésistible de drôlerie, tous ne sont là que pour composer une faune bigarrée, haute en couleur, fantaisiste à souhait.


L'histoire, elle, foncièrement accessoire, n'est qu'un prétexte au rire : sourire de nos petites manies afin de s'ouvrir à la vie qui passe, danser, chanter gentiment sans penser à l'hiver qui s'annonce. Entre deux pas de danse esquissés, les postures valsent doucement au gré des péripéties avant de retomber sur le sol, sous notre œil amusé. La brune, lassée de ses romans aux amours tristes, se met à irradier au soleil, la blonde fait de son palpitant sa principale préoccupation et le Greenwich Village reconstitué devient un show à lui tout seul. Les ruelles deviennent le théâtre des rivalités amoureuses, où les mâles s'affrontent dans des battles endiablées à grands coups d'acrobaties maîtrisées (Bob Fosse et Tommy Rall, tous deux fabuleux). Les parcs, quant à eux, sont propices aux délires musicaux d'une bande d'amis qui s'enivrent de la fraîcheur de la nuit. Les moments musicaux, faute d'être exceptionnels, sont suffisamment rythmés et innovants pour satisfaire nos appétits gourmands. Ceux-ci se savourent d'autant plus que Richard Quine, contrairement à Stanley Donen, prend son temps pour les incorporer dans l'histoire, adoptant un rythme nonchalant qui taquine sournoisement notre impatience.


C'est sans doute là son principal mérite : en prenant son temps, My Sister Eileen nous permet de profiter du charme suranné de ce New York de carte postale où l'on étend tranquillement son linge entre deux bâtisses et où l'on vous tire le portrait à chaque coin de rue. On attend, sans pour autant s'ennuyer, le prochain numéro et lorsque celui-ci arrive enfin, sa teneur ne nous déçoit jamais : c'est la douce mélancolie qui s'installe avec As soon as they see Eileen, c'est la folie qui reprend ses droits lorsqu'une conga initiée par des marins portugais se transforme en fête de quartier. La bonne humeur s'impose alors à l'écran, nous faisant oublier les incertitudes et les clichés. Quine vient de réussir son coup, à partir de trois fois rien, il parvient à nous offrir beaucoup.

Procol-Harum
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le 9 févr. 2023

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Procol Harum

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