Cette chronique maltaise sur les difficultés à vivre de la pêche traditionnelle brosse le portrait poignant d’un homme qui devrait renoncer à son héritage culturel pour s’assurer un futur dans le monde « moderne ».


Jesmark (Jesmark Scicluna) est pêcheur mais son existence ressemble plutôt à celle d’un galérien. Son luzzu - un bateau traditionnel maltais transmis de générations en générations - prend l’eau, les poissons se font rares et les acheteurs sont de plus en plus pingres. Pour ne rien arranger, son enfant en bas âge requiert des soins coûteux. Avec sa naïveté et son insolence teintées de déni, il est persuadé de pouvoir s’en sortir tout en perpétuant la tradition de la pêche artisanale.


La structure dramatique de Luzzu est classique : un protagoniste dont la vie est construite autour d’une activité porteuse de valeurs mais inadaptée à la modernité lutte pour empêcher son éradication. En filigrane de ce postulat classique, le réalisateur Alex Camilleri parvient à aborder de nombreuses thématiques : deshumanisation due à la mondialisation, impact des changements climatiques sur les ressources naturelles, ou encore la ténue frontière entre héritage et fardeau. C’est par l’utilisation des décors naturels du film que le metteur en scène interroge sur ces problématiques. Les luzzijiet (pluriel de luzzu) sont écrasés par la démesure des pétroliers naviguant au loin, une canne-à-pêche répond à une grue qui décharge un porte-conteneur et les personnages du film se démènent sur une île en pleine mutation recouverte de chantiers et d’industries.


Outre cette admirable faculté à faire dialoguer l’environnement maltais, l’ampleur et la force des personnages est l’autre grande réussite du film. En engageant des comédiens non-professionnels, véritables pêcheurs au quotidien qui ont été partie prenante dès l’élaboration du scénario, Camilleri parvient à rendre sincère et tangible le déchirement de Jesmark et de son entourage. Cette authenticité permet également de ne pas tomber dans le manichéisme, notamment quand le film aborde le problème de la corruption et que Jesmark s’embarque dans des activités liées au marché noir. Le pêcheur ne devient jamais pécheur. Si cette démarche flirte avec le néoréalisme, elle n’empêche pas le film d’offrir des sublimes moments poétiques comme lors d’une scène déchirante dans laquelle des luzzijiet communiquent leurs désespoirs par une simple succession de champs-contrechamps sur leurs proues. Dans Luzzu, même les bateaux ont des émotions.

el_blasio
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le 19 mars 2022

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