Certains réalisateurs ont ce petit plus qui les démarquent du reste du monde. Gosha, dès son premier film, imprimait sur bobine ce coup d’œil acerbe qui a depuis fait sa réputation. Une sensibilité graphique féroce qui insuffle à chaque placement de ses caméras l’impact le plus fort. « Les trois samouraïs hors la loi » cingle les rétines tant il fait l’effet d’une démonstration formelle de chaque instant. Tourné en majeure partie dans l’ombre, éclairé par des sources de lumière fébriles, il donne l’impression de parcourir un superbe livre photographique, dont chaque cliché à été longuement pensé et chaque obstacle visuel exploité comme autant de nouveaux cadres découpant les zones importantes de l’image. La différence avec le statisme d’une publication écrite étant qu’ici Gosha fait virevolter ses lumières pour accompagner les duels énergiques auxquels se livrent ses intrépides guerriers. Chaque joute est un moment de mise en scène mémorable, dont l’affrontement surprise du calculateur Einosuke Kikyo, alors qu’il se faisait masser les épaules par sa maîtresse, en est l’apogée : une séquence mémorable parce qu’elle est hantée par une caméra à la mobilité extrême qui se joue de chaque poutrelle, de chaque cloison comme d’un moyen de dynamiter les éclats de lame.


Cette maîtrise formelle a de quoi surprendre dans le cadre d’un premier film, d’autant plus qu’elle n’est jamais tape à l’œil et toujours utile à l’intrigue. Gosha prend en effet grand soin à laisser ses images s’exprimer, non pas pour la beauté du geste, mais bel et bien pour étayer le discours qu’elles permettent de construire. A savoir dans le cas présent, la critique radicale d’une société faite de paradoxes que les hommes qui la peuplent véhiculent tour à tour. Des samouraïs sans honneur sont prêts à tuer quelques proies faciles en échange d’une poignée de ryos, des paysans à bout de souffle sont trop peureux pour défendre ceux des leurs qui prennent enfin les armes pour sortir de leur condition d’esclave maltraités, un gouverneur local exécrable confond discipline et avilissement de ses sujets et quelques ronins, samouraïs déchus, libérés de leurs maîtres, guidés par leurs seuls principes pour choisir le chemin qu’ils souhaitent arpenter.


La prouesse de Gosha est de gérer pareillement chaque entité de cette large palette de personnages, au moyen d’une narration si fluide que jamais ne se pose la question du qui est qui, ce qui est remarquable vu la faible durée du film et le nombre d’acteurs en mouvement. Gosha fait dans l’efficacité, chaque duel est sec et décisif, chaque prise de position engagée dans l’instant. « Les trois samouraïs hors la loi » file à vive allure, passant d’une introduction rigolote qui fait penser au Yojimbo de Kurosawa à une dernière partie très noire dont seul le plan final rappelle l’humour des débuts. Un chambara très accessible, parce qu’il est avant tout de l’ordre du divertissement, même s’il est motivé par un sous texte critique des plus corrosifs.


Un film à conseiller pour se familiariser avec l’univers du film de sabre, parce qu’il est maîtrisé de bout en bout, bref, efficace, formellement inattaquable et diaboliquement divertissant. Qu’on ose me dire après un film de cet acabit que le Noir et Blanc est un procédé vieillot qui ne possède aucune expression... Non mais !

oso
9
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le 23 nov. 2014

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oso

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