La Brute, la Pingre et l'Envieux

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L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ! - François Mitterrand, Discours d’Épinay, 1971

Ici, nous sommes en 1924 et il faut bien admettre qu'on se demande bien comment la Goldwyn a pu donner son accord pour un projet aussi fou. C'est bien simple : alors qu'en 1922, la Goldwyn accepte de financer Erich von Stroheim dans son souhait d'adaptation du livre de Frank Norris, en posant pour unique condition une durée "raisonnable", le producteur se retrouve deux ans plus tard (devenue MGM entre temps) avec un film de plus de neuf heures entre les mains.

Evidemment, la durée délirante proposée n'aide pas à entretenir de bonnes relations entre la MGM et le réalisateur (qui n'est clairement pas un ange non plus puisqu'il a menti sur ses soi-disant origines aristocratiques en 1922 afin de réussir à se faire financer).
Pour autant, ce n'est peut-être pas encore le plus surprenant. Comment pouvait-on se dire en 1924, alors qu'Hollywood vendait avant tout du rêve aux américains, que ce serait une bonne idée de distribuer un film naturaliste dénonçant l'avarice ? Comment pouvait-on penser que filmer un dentiste embrassant sa patiente endormie n'allait pas poser quelques problèmes avec la censure ?

In fine, on se retrouve aujourd'hui avec deux versions : la version "courte" de 2h10 sortie en 1924 et une autre de 4h reconstituée par Rick Schmidlin, et il ne faut pas bouder son plaisir. Les producteurs de la MGM ont sauvé leur entreprise en taillant brutalement dans l'œuvre d'Erich von Stroheim mais le petit bijou qui nous est livré mérite qu'on les remercie mille fois, même si le fim a perdu en finesse et en dimension romanesque.

D'une violence inouïe, ce film naturaliste qu'Emile Zola aurait pu probablement réaliser s'il avait vécu quelques décennies de plus frappe le spectateur par la modernité du propos. Un peu comme pour L'Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau qui sortira trois années plus tard en 1927, Erich von Stroheim rappelle une nouvelle fois que se rendre en ville n'est pas forcément la meilleure idée qui soit, même si on y est poussé par sa mère. A peine notre Brute blonde a-t-elle pu dire adieu à son petit oiseau et au type envoyé violement dans l'eau dans la foulée que celui-ci se retrouve à suivre un charlatan vers la ville. La transmission d'entreprise se fait efficacement et voici la Brute devenue dentiste, ce qui lui permet dans le même temps de violer sous éther la copine qu'un ami bourgeois lui amène.

Le ton acerbe des cartons (qui reprennent largement le roman de Frank Norris) et l'enchaînement (trop ?) rapide de l'action mettent en exergue la cruauté des personnages.

Au bout d'à peine une heure de visionnage, nous avons déjà pu observer des scènes d'alcoolisme, de viol, d'envie et de misère (aussi bien sociale qu'intellectuelle). La scène du mariage est en ce sens un modèle de défilé d'êtres aussi répugnants les uns que les autres (à l'exception peut-être de la mère de la Brute).

Comme on pouvait s'y attendre, la suite est du même acabit : l'épouse fortunée à la suite d'un gain aux jeux développe une passion toute naturelle pour l'épargne en raison de sa frustration sexuelle (notre Brute n'est pas très beau) et refuse de soutenir son mari alcoolique et violent.
Ce dernier perd son droit d'exploiter son cabinet dentaire à la suite d'une dénonciation auprès de l'ordre des dentistes par son ami envieux de la réussite du couple.

L'avarice de nos trois personnages a commencé par détruire leurs valeurs morales, puis les a conduit à la misère, pour enfin littéralement les tuer tous (et une pauvre bête innocente également d'ailleurs).

Greed est une œuvre complètement dingue certainement pas dénuée de défauts (on sent bien que le film n'était pas prévu pour durer seulement 2h20) mais d'une telle puissance, d'une telle sincérité et d'une telle modernité, qu'elle mérite encore d'être regardée un siècle plus tard.

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