Film singulier empreint de mysticisme, 4 de l’apocalypse propose une relecture sombre et pessimiste du grand ouest américain. Loin des clichés usés jusqu’à la corde, Fulci livre une expérience contemplative et sans concession, plus proche du road movie psychédélique New Age que du Western spaghetti classique.
Un joueur professionnel (Fabio Testi), une prostituée enceinte (Lynn Frederick), un alcoolique maladroit (Michael J.Pollard) et un illuminé prétendant communiquer avec les morts (Harry Baird) deviennent d’improbables compagnons de voyages après avoir été expulsés Manu Militari d’une ville frontière. A la recherche d’une communauté daignant les accueillir, ils rencontrent sur leur chemin un bandit excentrique virtuose de la gâchette nommé Chaco (Tomas Milian), qui les aidera à survivre dans les plaines désertiques de l’ouest avant de révéler sa vraie nature.

Lucio Fulci réalisa trois westerns durant sa longue et prolifique carrière : Le temps du massacre (Le colt cantarono la morte e fu… tempo di) en 1966, le film sur lequel nous allons nous pencher aujourd’hui, 4 de l’apocalypse (I quattro dell’apocalisse) en 1975, et enfin le sympathique Sella d’argento en 1978. Bien que cela soit sujet à discussions entre les fans du réalisateur, je vais me mouiller et avancer ici que 4 de l’apocalypse se place tout de même assez largement au dessus du lot aussi bien stylistiquement que scénaristiquement. Il présente aussi l’intérêt d’avoir été réalisé durant une période clé du western spaghetti, en 1975, alors que le genre tombait en désuétude et se voyait supplanté au box office italien par les films policiers. Handicapé par une répétition constante d’archétypes narratifs usés et de plus en plus associé à des éléments comiques, le western transalpin lorgnait alors vers l’ultra violence et l’érotisme, perdant ainsi la puissance dramatique et l’authenticité qui avait fait sa réputation. Attiré par l’opportunité séduisante de redonner un souffle nouveau au genre, Fulci livre avec 4 de l’apocalypse un film sombre aux accents psychédéliques et mystiques venant se hisser sans mal parmi les meilleurs westerns de la deuxième moitié des années 70 avec le Keoma d’Enzo Castellari et Mannaja, l’homme à la hache de Sergio Martino.

Adapté de la nouvelle «The Outcasts of Poker Flat» de l’écrivain américain Bret Harte, le scénario écrit par Ennio De Concini désacralise les codes du western traditionnel pour nous présenter une vision âpre et sans fard de l’ouest américain. Nous assistons ici à l’errance de trois âmes damnées, véritables morts-vivants évoluant dans des décors post-apocalyptiques, à la recherche d’un ailleurs plus clément, d’un au-delà libérateur. Ici point de fusillades épiques, de figures mythiques ou de desperados redoutables chevauchant leurs destriers vers le soleil couchant, tout sent la poussière et le sang. Road-movie crépusculaire, le film suit le parcours douloureux de laissés pour compte de la conquête de l’ouest, ces hommes et ces femmes qui peinent à trouver leur place dans une société en mutation constante, loin d’être des héros mais pas vraiment des victimes. Ils rencontreront en chemin le pire et le meilleur de la race humaine et feront face à une nature tout aussi excessive, entre plaines désertiques desséchées par le soleil, pluies torrentielles et neiges brûlant les chaires. Difficile de ne pas interpréter ce voyage comme un purgatoire, chemin jalonné de souffrances vers la rédemption physique et spirituelle à l’issu duquel nos quatre protagonistes trouveront l’absolution d’une manière ou d’une autre.

Le personnage de Chaco est à ce titre très intéressant. Alors que nos héros doivent oublier leur égoïsme et apprendre à vivre ensemble afin de survivre dans ces contrées sauvages et trouver une issue à leur calvaire, le pistolero mexicain apparaît comme une figure symbolique forte. Démon nihiliste et séduisant, doté de talents presque surnaturels, il incarne une forme de liberté et d’indépendance ayant pour but d’écarter le groupe de son objectif initial. Proche du serpent biblique venu corrompre l’homme, il semble bien maudit par une divinité quelconque, condamné comme son modèle à manger la poussière dans une solitude perpétuelle. Personnage allégorique hédoniste, il personnifie la pire forme du mal, malicieux et machiavélique mais néanmoins terriblement charismatique. Tout d’abord présenté comme un bandit mystique offrant son aide aux nécessiteux il se révélera être un psychopathe de la pire espèce, perpétrant viole, meurtres et tortures pour arriver à ses fins. On ne sera pas étonnés de reconnaître sous les traits de Chaco une ressemblance frappante avec le tristement illustre Charles Manson, lui aussi leader charismatique abrutissant les masses et exploitant leurs faiblesses afin de dissimuler sa véritable nature prédatrice empreinte d’égocentrisme malsain.

L’interprétation de Chaco par Tomas Milian, déjà vu chez Fulci dans Liens d’amour et de sang (Beatrice Cenci) en 1969 et La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino) en 1972, est sans doute l’élément le plus impressionnant du film. Malgré le fait que le personnage n’apparaisse finalement que très peu à l’écran, sa performance intense et possédée dépeint remarquablement un personnage brutal mais ensorcelant, offrant un bad guy de première classe au métrage. On sent bien l’influence d’El Topo d’Alejandro Jodorowsky à travers ce scélérat mystique et taciturne. Toutefois, sans jamais singer ses influences, Milian incarne véritablement un personnage culte, figurant parmi les monstres les plus fascinants de l’oeuvre du réalisateur italien. Les autres rôles principaux sont tout aussi bien distribués. Fabio Testi, qui retrouvera Fulci en 1980 pour La guerre des gangs (Luca il contrabbandiere), compose ici un Stubby doux et humain, héros faillible tout en nuances sensibles. Lynne Frederick est aussi belle que convaincante dans le rôle de Bunny et sa relation avec Stubby offre une touche de tendresse et de douceur bienvenues dans ce cadre pessimiste parfois plombant. Enfin, bien que relativement peu développés, Clem et Bud, respectivement interprétés par Michael J.Pollard et Harry Baird, sont deux personnages attachants et consistants loin d’être caricaturaux malgré leurs personnalités quelque peu simplistes et stéréotypées.

4 de l’apocalypse marque aussi la première collaboration de Lucio Fulci et du compositeur Fabio Frizzi qui composera plus tard les bandes originales cultissimes de Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi) en 1980 et de L’au-delà (E tu vivrai nel terrore! L’aldila) en 1981. Frizzi livre ici une partition très folk et ‘flower power’ majoritairement composée de ballades douces se positionnant en contraste avec l’ambiance fin du monde du métrage. On notera également un joli travail sur des morceaux comme ‘Death Scene’ ou ‘On the traces of Chaco’, accompagnements musicaux amplifiant remarquablement le charisme maléfique et le coté mythologique de Chaco dans certaines scènes. L’une des particularités de cette bande originale est aussi de présenter des chansons de Franco Bixio et Vince Tempera explicitant ouvertement les sentiments des personnages ou décrivant tout simplement l’action en cours. Cela paraîtra douloureusement daté pour certains mais impossible de dénigrer le charme désuet du procédé et ce désir aussi maladroit que touchant de vouloir à tout prix rendre les scènes et les situations iconiques.

Visuellement somptueux, le film est tourné dans un 1,85:1 anamorphosé du plus bel effet. Format d’image large utilisé dans le western spaghetti afin de mettre en valeur les grands espaces, Fulci choisit de l’employer durant tout le film et s’en sert remarquablement afin de composer des plans riches à la composition recherchée. Le réalisateur sait aussi, comme à son habitude, jouer avec une faible profondeur de champ dans les plans rapprochés pour offrir une image léchée et douce témoignant d’un savoir-faire technique éprouvé et d’un goût artistique certain. Légèrement surexposée et désaturée, la photographie de Sergio Salvati nous offre une image somptueuse empreinte d’une poésie morbide et semblant magnifier le production design de haute volée de Giovanni Natalucci. Un très beau travail d’équilibriste oscillant constamment entre réalisme et stylisation de la lumière, pour créer un environnement visuel rendant les films de Fulci reconnaissables au premier coup d’oeil. Les deux hommes perfectionneront d’ailleurs cette signature graphique dans les années suivantes avec des films comme L’enfer des zombies (Zombi 2 ) en 1979 ou La maison près du cimetière (Quella villa accanto al cimitero) en 1981.

Si il ne semble pas facile d’accès au premier abord, 4 de l’apocalypse vaut vraiment la peine d’être découvert tant il se distingue de la masse des westerns italiens produit durant les années 60/70. Audacieux, original et explorant des thématiques ambitieuses, ce deuxième western réalisé par Fulci s’inscrit comme une oeuvre marquante du réalisateur, alors dans une période délicate de sa carrière. Après quelques années couronnées de succès entre 1968 et 1972, grâce à des films comme Perversion Story (Una sull’altra) ou La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino), Fulci ne retrouvera véritablement son élan créatif qu’en 1979 avec L’enfer des zombies (Zombi2). 4 de l’apocalypse se pose donc comme une exception dans cette période de sécheresse artistique et préfigure à lui seul la renaissance à venir du réalisateur et la redécouverte de son plein potentiel cinématographique.
GillesDaCosta
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le 30 déc. 2012

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Gilles Da Costa

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