Deux hommes. Albert Dupontel et Bouli Lanners, habités. Cochise et Gilou. Ils cherchent quelque chose. Un portable volé.
Un homme et une femme. Aurore Broutin et David Murgia, intenses. Esther et Willy. Simples d’esprit. Mais ils s’aiment. Et c’est tout ce qui compte. Willy a entendu que la fin du monde approchait. Alors ils décident d’aller voir une fille dont on ne sait rien avant que tout le monde ne meure. Le problème, c’est qu’ils ont entre leurs mains un portable. Et il n’est pas à eux.
Un homme. Seul. Philippe Rebbot, tout en finesse. Jésus. Est-ce LE Jésus ? Est-ce un autre ? En tous cas, il agit comme un prêcheur. Il parle peu, mais bien. Et il fait des miracles. Pas de ceux qui éclatent aux yeux de tous, non. Mais il est capable de changer un homme. Par de simples paroles. Il peut le rendre conscient. Il peut le rendre aimant. Il peut le rendre vivant.
Deux hommes. Vieux. Michael Lonsdale et Max von Sydow. Sans nom. Ils ont l’air de vieux débris. Rejetés par un monde qui ne veut plus d’eux. Un monde dans lequel ils n’ont plus rien à faire. Ils ont déjà un pied dans la tombe. Ils vivent avec la pensée constante de la mort. C’est peut-être ce qui impressionne Gilou malgré lui. Car au fond d’eux, il subsiste encore quelque chose. Quelque chose de rare, très rare. De l’humanité.
Des hommes. Beaucoup. Ils sont sales, ont l’air méchant. Ils n’ont plus d’hommes que le nom. Mais au fond d’eux, il n’y a plus rien. Rien.
Le monde. Il est sale, il est vide. Il est peuplé d’hommes, mais n’a plus rien d’humain. Est-ce un monde post-apocalyptique ? Est-ce un monde pré-apocalyptique ? Est-ce… notre monde ?


Un film. Le titre, sobre, fait-il référence à la Bible ? En tous cas, il pose question : les hommes que nous voyons sont-ils les derniers d’un monde détruit ? Sont-ils les premiers d’un nouveau monde, déjà mort ? Laquelle de ces hypothèses est la moins angoissante ?
Dès les premières images, une constatation s’impose. Bouli Lanners a décidé de faire du cinéma. Du vrai. Avec des cadrages sobres et soignés. Avec des personnages attachants. Avec des émotions. Avec une histoire. Aussi réduite soit-elle. Avec des dialogues, aussi. Quoique…
Peu de mots.
Très peu de mots.
Un monde en destruction n’a plus besoin de parler. Il se contemple.
Silencieusement.
Pourtant, au milieu de ce monde, il y a quelque chose. Des hommes. Une poignée. Les autres n’ont plus le droit de s’appeler des hommes. Ils n'ont plus d'hommes que le nom. Mais ceux-ci, c’est différent. Ils sont animés par quelque chose. Ils ont une âme. Même quand ils n’ont plus toute leur intelligence, comme Esther et Willy. Mais ils sont capables d’aimer. De se souvenir. De vivre.
Cela dit, qu’est-ce que vivre ? Lonsdale nous dit ce que ce n’est pas. « Vivre, ce n’est pas seulement respirer ». Bien. Mais alors, qu’est-ce ? Dure tâche de le découvrir. C’est ce que vont faire Cochise et Gilou. Dans un monde où règne la mort.
Mais justement, la mort n’a-t-elle pas son rôle à jouer dans le chemin vers la vie ? Autre leçon de ce film sombre et poétique, cruel et juste. Qui explique la présence de ce mystérieux Jésus. La vie n’est rien sans la mort. C’est la mort qui donne son sens à la vie. C’est la mort qui nous montre la vraie valeur de la vie. C’est dans la vie que l’on se souvient. On se souvient des inconnus que l’on a enterrés. On se souvient d’une fille dont on a été séparé il y a des années. On se souvient du mal que nous ont fait les autres hommes. Ceux qui ne sont plus tout-à-fait des hommes.
Ce film, c’est aussi une lutte. Pas seulement celle du spectateur avec un film très dur d’accès. Mais aussi celle des vrais hommes contre les faux. Des bons contre les mauvais. Cela rappelle d’autres films. Les frères Coen, No country for old men. Georges Miller, Mad Max. John Hillcoat, La Route. Il y a du tragique et de l’absurde. Il y a de la violence et des poursuites. Il y a de la noirceur et des haines. Mais ça n’est pas tout ça. C’est du Bouli Lanners, et c’est tout autant réussi.
Et tout ça sans un mot, ou presque. Juste des images. De tout petits personnages noyés dans de grands paysages, froids et vides. Et tout est gris. Est-ce un monde post-apocalyptique, pré-apocalyptique ? Est-ce… le nôtre ?
Ce film, c’est une œuvre d’art. Mais une œuvre étrange, paradoxale. C’est froid, c’est mort, c’est abscons. On ne comprend pas toujours, et pourtant… Si l’on regarde avec les yeux du cœur, c’est bien plus que cela. C’est dur, mais c’est puissant, c’est vivant. Même si on ne comprend pas tout. Même s’il y a trop de symboles. Même si on n’accroche pas toujours. C’est fort.
Ce film, c’est une lutte à tous les niveaux. Au niveau du spectateur. Au niveau des personnages. Au niveau des représentations. C’est la lutte du bien contre le mal. De la vie contre la mort.
Car dans ce monde où la mort semble avoir gagné, il subsiste un tout petit quelque chose.
Comme dans la serre de Michael Lonsdale, il y a de la vie, mais sous forme de tout petits ilots. Mais si ces ilots finissent par se rencontrer, alors on voit naître quelque chose. Il faut attendre la fin du film pour la voir apparaître, mais lorsqu’on la tient, on ne la lâche plus.
C’est une toute petite chose.
Qui naît à partir de rien.
Qui grandit cachée au fond des hommes.
Qui parfois disparaît et parfois éclate au grand jour.
Une toute petite chose, mais c’est la plus importante de toute les choses du monde.
Elle écrase tout.
Elle est plus forte que tout.
Elle est tout.
L’espoir.

Tonto
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le 15 août 2017

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Tonto

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