Les Poings sur les Murs, originalement Starred Up (titre préférable, d'ailleurs), est un film carcéral réalisé en 2014 par David MacKenzie. Comme tout film carcéral, on suit... le parcours ? La survie ? L'ascension ? d'un jeune homme de 19 ans, Eddy, mineur surclassé (c'est-à-dire considéré pénalement comme majeur) qui va se retrouver dans la même prison que son père, Neville. J'ai commencé par "comme tout film carcéral", car il faut admettre que le genre ne manque pas de références, bonnes ou mauvaises, et qu'un film tel que Starred Up pouvait facilement tomber dans le déjà-vu.

Eh bien oui, et non. Et plus non que oui, d'ailleurs. Si certaines codes du film carcéral sont réutilisés, comme le personnage principal arrogant et badass qui veut se mesurer à la prison entière, ils le sont de manière intelligente: à travers ce "gamin" de ce 19 ans, la réutilisation de ces codes joue surtout contre lui, le rendant puéril et ingénu d'une certaine façon, par rapport à une vie en prison sur laquelle il a des préjugés: toujours garder un couteau en réserve, s'enduire d'huile lors d'un conflit avec des gardiens, ne jamais faire tomber sa savonnette... Hum, j'exagère peut-être sur le dernier. Néanmoins, il y a toujours cette personnalité à la fois forte et enfantine d'un adulte mal grandi qui fait penser au personnage de Vincent Cassel dans La Haine. Que veut-il ? Que cherche-t-il ? Du respect ? Etre le leader d'un groupe, obtenir de la reconnaissance ? On ne le saura jamais, justement parce que les réponses à ces questions se perdent dans l'immaturité du personnage principal. Ce personnage d'Eddy est au final plutôt bien travaillé et réussi, d'autant plus qu'il est incarné par un Jack O'Connell encore une fois à la hauteur (comme dans Invincible et '71).

Mais je n'aurais d'ailleurs pas grand-chose à reprocher au casting, que ce soit au niveau des acteurs ou des figurants: on dirait de vrais prisonniers; on s'y croirait. De plus, les décors authentiques et réalistes rendent le film d'autant plus crédible. Pour ma part, j'ai été totalement immergé dans le film pendant les quarante premières minutes, tant la réalisation et la mise en scène s'accordent à créer un atmosphère tantôt silencieuse pour exprimer la solitude, tantôt presque claustrophobe, enfermé dans une cellule minuscule. En parlant de la réalisation, je pense aussi aux plans-séquences utilisés au début du film, à l'arrivée d'Eddy en prison, et lorsqu'on suit celui-ci dans les couloirs de la prison, ce qui nous donne plus que jamais l'impression d'être, nous aussi, des prisonniers.

Si j'ai dénoté quelques longueurs au milieu du film, qui coupent en quelque sorte l'excellent élan que prend le film dans son introduction, il est correct de convenir que le scénario est très réfléchi: mêlant vie carcérale et parcours initiatique d'Eddy qui va "devenir un homme". Oui, ça paraît ridicule dit comme ça, mais c'est au final bel et bien une thématique du film: en se retrouvant dans la même prison que son père (dont l'acteur a un faux air de Jim Caviezel, d'ailleurs), avec lequel il ne va pas forcément tout le temps s'entendre, le réalisateur instaure un soupçon de conflit oedipien dans son oeuvre. Car pour s'affirmer, Eddy va devoir confronter la figure du père, cette figure paternelle qui a rarement été là pour lui, ce qui est à la fois source de conflits et de confidences. Voyez à quel point on frôle le cliché, à chaque fois que je tente de développer les thématiques du film: pourtant, Starred Up ne tombe quasiment jamais dans ces clichés, et ce conflit père-fils est justement mis en scène de façon excellente.

Cependant, même après avoir terminé ce film, une question me reste en suspens. Si Starred Up a une volonté réaliste, mais que le réalisme qu'il transmet s'accorde avec les préjugés du personnage principal, n'est-ce pas finalement un faux réalisme qui s'empare du film ? Dans une cage où les prisonniers sont les gentils et les gardiens sont de méchants monsieurs qui profitent de la première occasion pour leur mettre une branlée, il est difficile d'échapper à un manichéisme étouffant, qu'on décèle sans trop fouiller. Mon explication est qu'au final, on voit le film à travers les yeux d'Eddy: cela justifie à 75%, disons, tous les défauts que ma question soulève. Car même avec cette explication demeure un certain goût d'incompréhension, comme un arrière-goût de "ne fouille pas trop quand même".

Ayant pris un minimum mon pied devant ce film, que je juge finalement comme un bon film carcéral, je décide d'écouter cet arrière-goût et de demeurer à la surface de Starred Up; une surface finalement assez riche pour constituer un cinéma correct et appréciable.
Soma96
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le 31 janv. 2015

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Kevin Soma

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