On voit très bien ce qui a pu intéresser et séduire l’australienne Jane Campion, alors présidente du festival de Cannes, dans le film de l’italienne Alice Rohrwacher : le parcours d’une jeune fille vers l’émancipation et l’affranchissement d’une présence paternelle autoritaire et dirigiste émettait en effet tous les clignotants susceptibles d’ébranler les sens de la réalisatrice d’Un ange à ma table. Qui décerna du coup aux Merveilles le Grand Prix du jury, récompense inouïe quand on songe qu’il s’agit là seulement du deuxième long-métrage de l’auteur de Corpo celeste. Si la présidente a d’évidence écouté ses battements de cœur, elle a du coup laissé aux portes de la salle son jugement esthétique et artistique.

Car ce film n’a réellement de merveilleux que son titre, en référence à l’émission de télé tournée dans ce coin de l’Ombrie qui attire la jeune Gesolmina qui vit dans une ferme à moitié délabrée avec ses parents et ses trois jeunes sœurs où elle aide à la production de miel. Les parents, probablement anciens militants engagés, se sont retranchés dans leur exploitation dans une existence autarcique et rugueuse, régentée par un père gueulard et asservi pour survivre à un labeur éprouvant et peu lucratif. Outre le monde d’une téléréalité artificielle utilisant à des fins mercantiles le vécu des pauvres gens, une autre ouverture s’opère dans l’univers hermétique de Gesolmina avec l’arrivée de Martin, un jeune délinquant sourd que son père accepte de prendre en stage. À des degrés divers, le miroir aux alouettes, incarné par l’animatrice fausse et vulgaire à souhait (Monica Bellucci en guest de luxe) comme la présence, muette mais physique, du jeune Martin interviennent comme des révélateurs.

Pourtant, au bout de presque deux heures, on aura été bien en peine d’éprouver la moindre émotion, comme si l’ensemble était toujours retenu ou dilué dans une esthétique qui ne convainc guère. Et c’est bien le terme de dilution, ou mieux encore d’épanchement, qui convient le mieux au final à qualifier Les Merveilles. Un épanchement qui se manifeste ainsi lorsque le miel s’écoule d’une cuve, faute d’avoir placé à temps le récipient récupérateur. L’idée bien sûr à la fois métaphorique et réelle d’une fuite : d’une utopie apicole qui prend l’eau de toutes parts, d’une enfance qui se termine, laissant entrevoir l’âge adulte et ses premiers renoncements.

Par instants, le thème de la sororité, comme un rempart solidaire de quatre sœurs face à l’irresponsabilité d’un père idéaliste et égoïste (qui reviendra un jour avec un chameau comme cadeau), peut évoquer Cria Cuervos mais le contexte différent limite d’emblée cette référence. Étrangement, la dimension organique et sensorielle, pourtant clairement affichée, ne semble jamais passer les frontières de l’écran, laissant du coup le spectateur en marge du drame qui se joue. À son plus grand regret.
PatrickBraganti
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films vus en 2015

Créée

le 13 févr. 2015

Critique lue 1.1K fois

5 j'aime

Critique lue 1.1K fois

5

D'autres avis sur Les Merveilles

Les Merveilles
Sergent_Pepper
3

Little Miss Mudshine

Le Grand Prix du jury de Cannes 2014 est passé un peu inaperçu au regard du reste du palmarès qui a fait vibrer à la fois presse et public. Les merveilles se veut naturaliste : grain volontairement...

le 19 mai 2015

17 j'aime

7

Les Merveilles
BrunePlatine
6

Poésie du dénuement

Il a bien des qualités, ce petit film d'Alice Rohrwacher qui avait d'ailleurs reçu le Grand Prix à Cannes en 2014. Esthétiquement, nous sommes à la fois proches du documentaire caméra à l'épaule...

le 13 janv. 2016

8 j'aime

5

Les Merveilles
Camille_Sanz
6

Critique de Les Merveilles par Camille S.

Un père apiculteur, colérique, buté mais bienveillant. Quatre filles, une femme, une sœur (?), comme autant d'abeilles travailleuses, solidaires et déterminées. Un quotidien suave et poisseux comme...

le 29 mai 2014

8 j'aime

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5