Tout doucement, perdu sur une plage dangereuse, le venin commence à faire son effet. La vue est brouillée par un mirage annonciateur pendant que les autres sens se décuplent à vitesse grand V. Les yeux s’ouvrent à la lumière du jour, après quelques minutes d’écarquillement, et il devient difficile d’identifier le monde dans lequel apparaissent ses entités moribondes et violentes. Les Garçons sauvages, c’est comme si Orange Mécanique prenait un coup de scalpel par Jules Verne.


Ils sont beaux, elles sont belles. Ils sont violents, elles sont violentes. Ils, elles, vous, nous : la confusion des genres se mue en une mosaïque iconoclaste de corps qui se cherchent, d’une violence qui s’extériorise, d’un sentiment adolescent qui se matérialise, et d’odeurs qui se mélangent. Un cocktail pétaradant qui ne ressemble à rien d’autres dans le cinéma français. Finalement, Les Garçons sauvages est peut-être le film dont avait besoin le cinéma français lors de ces dernières années : libre, onirique, viscéral. Les barrières de l’imaginaire sont grandement ouvertes, dans une œuvre qui abuse des références et des métaphores.


Mais derrière ce capharnaüm élégiaque, se décèle une envie irrépressible de manger le monde, d’enlever les chaînes du mot genre, d'alimenter le trouble. Sur une île où les plaisirs deviennent déviants et changeants, sur ce navire de pêche où la punition et les cris muets sont la seule offrande, sur une terre ferme où il est impossible d’arrêter la violence acerbe de jeunes bourgeois incontrôlables, Les Garçons Sauvages s’érigent en aventure organique, un enfermement jouissif au travers d'une nature sexualisée.


Alors que la personnalité et l'anatomie commencent à se confondre, les concepts mêmes du sexe et du genre deviennent surréalistes et dématérialisés. Avec cette évolution de la couleur, passant du noir et blanc à la couleur ouatée de la lumière du soleil qui s’effondre sur la plage, Les Garçons Sauvages a ce gout assez impromptu pour brouiller les pistes, s’amuser des codes du cinéma de genre, celui d’aventure, fantastique, ou même adolescent, pour s’accommoder à une mise en scène qui éructe sa joie de l’orgasme.


Réponse assez frappante de la violence faite aux femmes, Les Garçons Sauvages ne fait jamais de son sujet une étude documentaire ni un pamphlet répréhensible mais tourne son regard vers quelque chose de plus fantasmatique et ricaneur. Se déroulant durant une époque inconnue, que l’on pourrait croire au début du XXème siècle, Bertrand Mandico use de la confusion, voire même de la fusion : Les Garçons Sauvages est un voyage initiatique sur l’appropriation du corps, la domination personnelle du plaisir.


Ce qui pouvait s’apparenter à une histoire d’une vengeance à l’encontre « des garçons sauvages » devient une fable sur la maturité et la maturation d’un soi où l’aventure est la réciproque de la compréhension. Pourtant cet amas iconique et graphique, qui fait suinter ses textures alambiquées, allant du pictural au burlesque, de la métaphore à la sensualité abrupte, n’éloigne jamais son spectateur de sa folie. L’émotion d’émerveillement ou drolatique fait foi face aux images conceptuelles toutes plus magnifiques les unes que les autres.

Velvetman
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 5 mars 2018

Critique lue 4.8K fois

87 j'aime

5 commentaires

Velvetman

Écrit par

Critique lue 4.8K fois

87
5

D'autres avis sur Les Garçons sauvages

Les Garçons sauvages
Fritz_Langueur
10

A l'ombre des jeunes filles en fleurs...

D’ordinaire, avant de voir un film, je m’intéresse à l’histoire, aux noms du réalisateur et acteurs, je vois des images... Souvent je jette un œil ça et là pour en savoir un peu plus. Mais parfois je...

le 1 mars 2018

63 j'aime

3

Les Garçons sauvages
Sergent_Pepper
7

L’île de l’ostentation

Et si, pour innover, il fallait revenir aux origines ? Pour briser la gangue d’un cinéma qui croit depuis trop longtemps être parvenu à maturité, frayer à contre-courant jusqu’aux sources...

le 21 mai 2018

51 j'aime

4

Les Garçons sauvages
Culturellement-votre
4

Entre beauté formelle et vacuité profonde

Les garçons sauvages est un film formellement abouti et interprété avec brio. Mais il reste continuellement en surface, dans une pose supposément transgressive, excessivement irritante par moments, à...

le 3 janv. 2018

44 j'aime

2

Du même critique

The Neon Demon
Velvetman
8

Cannibal beauty

Un film. Deux notions. La beauté et la mort. Avec Nicolas Winding Refn et The Neon Demon, la consonance cinématographique est révélatrice d’une emphase parfaite entre un auteur et son art. Qui de...

le 23 mai 2016

276 j'aime

13

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Star Wars - Le Réveil de la Force
Velvetman
5

La nostalgie des étoiles

Le marasme est là, le nouveau Star Wars vient de prendre place dans nos salles obscures, tel un Destroyer qui viendrait affaiblir l’éclat d’une planète. Les sabres, les X Wing, les pouvoirs, la...

le 20 déc. 2015

208 j'aime

21