Bien avant que Sergio Leone ne dévoile sa vision de l'Amérique à travers le destin de ses gangsters, héros maudits par excellence, dans une fresque somptueuse ; l'immense Raoul Walsh s'était déjà risqué à la chose avec The Roaring Twenties, grand classique du genre.
Cherchant l'efficacité avant tout, il délaisse les grandes fresques interminables et fait de The Roaring Twenties un film court, dense, nerveux... Comme si le cinéaste voulait, par la forme, nous signifier l'urgence et la frénésie d'une décennie hors norme. Celle des années 20, les années folles où tout semble possible, le meilleur comme le pire...
L'Amérique à la gueule de bois, le monde vient de subir le douloureux traumatisme de la Grande Guerre, et l'esprit est à la reconstruction, à l'apaisement, à la détente... Pourtant lorsqu'ils rentrent chez eux, les boys retrouvent une société qui a apprise à se passer de leur service. Les honneurs, une médaille et le chômage, voilà ce qui attend les héros d'hier : une immense ingratitude. Les années 20 sont les années du grand chamboulement, les priorités changent et le besoin de liberté se heurte à une réalité sociale difficile. On assiste au début de la prohibition, à l'organisation du milieu du crime, à la banalisation de la violence... Une époque incroyable qui voit l'Amérique revenir à la période du far west, le gangster remplaçant le cowboy, la mitraillette et le Borsalino en lieu et place du six-coups et du Stetson ; quant à la morale, elle est toujours en berne. Une décennie de tous les excès qui verra la crise de 29 balayer les dernières bribes de l'American Dream.
La vision de cette époque est ainsi perçue à travers le destin de trois personnages, trois vétérans de la Grande Guerre. Le personnage principal, Eddie, est entré en voyoucratie comme d'autres entrent dans le monde du commerce ou dans la bureaucratie ; il devient gangster par opportunisme. Il n'est pas foncièrement mauvais, il constate juste que la prohibition lui donne le moyen de se faire du blé et de sortir du chômage en quelque sorte. Alors, forcément, il monte sa petite affaire à la manière d'un simple artisan. Il va vite prospérer, gravir les échelons, avant de tutoyer les sommets. Sa chute symbolisera la fin d'une période, laissant ainsi la place à une époque pleine d'incertitudes, comme pour signifier que l'Histoire est un éternel recommencement.
Parallèlement au destin d'Eddie, on suit également les parcours de George et Lloyd, des personnages secondaires mais qui permettent à Walsh de dévoiler d'autres facettes de cette période. George est en quelque sorte l'archétype du salaud, le type sans scrupules qui est prêt à tout pour réussir ; c'est le représentant du "desperado" du far west, c'est la face sombre de l'Amérique qui laisse le crime s'épanouir en son sein. Son contraire, c'est Lloyd, le gentil de l'histoire d'une certaine façon. Si son personnage est vite occulté, sa présence permet à Walsh de rappeler que l’honnêteté et les valeurs morales peuvent encore prévaloir dans ce monde à la dérive.
Ainsi, en moins de deux heures, Walsh va aborder de nombreuses thématiques, allant de la description de la prohibition, et de ses bootleggers, jusqu'à explorer le monde des gangsters, en passant par l'inévitable histoire d'amour. The Roaring Twentie est un film ambitieux qui veut saisir au mieux la réalité d'une époque. Mais c'est là que le bât blesse ; en un format aussi bref, le film ne fait que butiner ces thèmes, sans les approfondir. Et même si le personnage d'Eddie est formidablement bien campé, la psychologie des personnages paraît étrangement sommaire. Ce film nous laisse donc une impression étrange ; partagé que nous sommes entre la satisfaction d'avoir vu un solide film de gangsters, qui porte en outre une vraie réflexion sur l'Amérique de l'époque, et la déception engendrée par une œuvre qui ne va pas au bout de ses ambitions, qui manque un peu d'envergure et qui déçoit en se montrant parfois trop didactique.
Pour le reste The Roaring Twenties reste un excellent polar, ouvrant la route à quelques chefs-d'œuvre, et symbolisant d'une certaine façon le passage de témoin entre le film de gangsters et le film noir. Une évolution que l'on retrouve avec les deux acteurs principaux : James Cagney est ici la vedette incontestée, au sommet de son art, tandis que Humphrey Bogart commence à quitter son rôle de simple "second couteau", avant de se muer en porte-drapeau du film noir. Avec The Roaring Twenties, c'est également une page de l'histoire de Hollywood qui se tourne.