Que dire sur Les Deux Amis...?


Je ressens beaucoup de perplexité quant à l'intérêt du film lui-même. Bien que cosigné par le talentueux Louis Garrel (dont c'est le premier long-métrage) et l'extraordinaire Christophe Honoré (le grand réalisateur des magnifiques Chansons d'amour et des nostalgiques Bien-aimés), le scénario tourne trop rapidement en rond. Si le point de départ de l'intrigue (un homme amoureux d'une femme lui opposant une fin de non-recevoir pour de mystérieuses raisons demande à son meilleur ami de l'aider à la reconquérir), très classique, pouvait appeler un traitement novateur du genre, la structure narrative du film présente hélas des airs de déjà-vu, tant dans l'oeuvre du réalisateur que dans le traitement cinématographique du genre. L'ombre de Philippe Garrel n'est d'ailleurs jamais très loin (et pas forcément à tort): le père semble avoir cédé au fils sa passion pour les histoires sentimentales complexes.


La passion, c'est ce qui manque cruellement au film. Pas grand chose ne se passe, les tribulations amoureuses de notre trio, qui semblent tout droit sorties de Jules et Jim, suscitent l'ennui, voire agacent le spectateur, à travers des personnages irritants (à l'instar de Clément, pourtant interprété par l'excellent Vincent Macaigne), parfois légèrement surjoués dans certaines scènes, et des situations rocambolesques sur le papier, mais tellement insipides. Le développement scénaristique recèle ainsi à mon sens plusieurs erreurs de traitement. Tout d'abord, les "raisons mystérieuses" qui poussent Mona à rompre son histoire sentimentale avec Clément nous sont révélées dès les premières secondes du film, ce qui retire tout effet de surprise au spectateur pour la découverte de la suite de l'histoire, alors que c'est ici l'une des clés essentielles de l'énigme (que je prends soin de ne pas spoiler). Par ailleurs, qui dit trio amoureux, dont [Les] Deux Amis, suppose un amour intense porté à la même femme et entraînant progressivement les deux compères sur la voie d'un conflit larvé. Or, l'affrontement entre Abel et Clément n'est que soudain, bref et tardif, les brusques revirements de ce dernier vis-à-vis de se relation avec son meilleur ami étant difficilement compatibles avec sa propre personnalité. Pour son premier "long", Louis Garrel fait ainsi parfois preuve de prétention, puisqu'il semble davantage miser sur la forme (voir ci-dessous) que sur le fond, voire de lourdeur (le personnage de Clément dans son ensemble ou la scène du train mettant aux prises les trois protagonistes).


Pourtant, si l'on y regarde de plus près, le premier film n'est pas entièrement indigne d'intérêt. Certes, le développement scénaristique manque d'intérêt. Certes, on a déjà vu l'acteur-réalisateur maintes et maintes fois dans un registre semblable, alors que certaines scènes font référence à son travail d'acteur et à l'oeuvre de Christophe Honoré (la scène entre le barman de l'hôtel et Abel). Pourtant, il y a des accents truffaldiens chez Louis Garrel. La mise en scène est plutôt remarquable et parvient à donner une identité à un récit qui en manque pourtant. Appuyée par le magnifique travail de la directrice de la photographie, Claire Mathon, elle permet aux personnages de baigner dans une atmosphère teintée, particulière, délicieusement désuète. Elle nous offre de très beaux moments de cinéma, hérités directement de l'oeuvre de Philippe Garrel, lorsque Mona s'adonne à une danse improbable dans un café vide en pleine nuit parisienne ou lorsque le trio s'aventure en boîte de nuit (en référence à la magnifique scène de danse de Monica Bellucci dans Un été brûlant sur Truth Begins de Dirty Pretty Things). La scène de la reconstitution historique (à laquelle Clément entraîne ses deux compères) est particulièrement réussie et témoigne d'un très beau travail sur une lumière chaleureuse. L'usage des slow motions est maîtrisé et donne du relief à un récit plutôt monotone, aux variations trop régulières et attendues: les personnages n'en sont que davantage mis en valeur. Ces derniers sont d'ailleurs portés par la justesse de l'interprétation de ce trio d'acteurs. Qu'il s'agisse des charismatiques Golshifteh Farahani et de Vincent Macaigne (bien que son personnage soit hautement agaçant), dont le talent n'est plus à prouver, ou des seconds rôles, il s'avère indéniablement un très bon directeur d'acteurs.


Bref, tantôt irrité par l'ennui que m'a provoqué le film de Louis Garrel (un cruel manque de fond), tantôt charmé par de très belles scènes de cinéma, seul un mot me vient à l'esprit lorsqu'il s'agit de résumer mon sentiment vis-à-vis des Deux Amis: perplexité. Mais...

rem_coconuts
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le 14 oct. 2015

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