Superbe fresque épique avec laquelle Misumi retrace une époque trouble de l'histoire du Japon. Une période de transition lors de laquelle le pouvoir Shogunal est mis à mal par des castes qui aimeraient s’emparer du pouvoir. Deux camps s'opposent farouchement pour s'en saisir ou le conserver, ce qui donne lieu à des batailles d'une violence extrême qui servent des intérêts politiques sans cesse changeants. Le film prend pour témoin de ces querelles différents samouraïs, chacun tiraillé entre obligation « professionnelle » et conscience morale.

C'est à travers les yeux d'un samouraï libre, Toranosuke, qui rencontra la voie du sabre en même temps que son maître lors d'un suicide avorté, que Misumi traverse cette trouble époque. Tout le film se concentre sur son évolution et ses rencontres avec les différents camps qui s'entretuent lors de guerres fratricides dont les principaux acteurs ne sont que des pions dans les mains de puissants jamais personnifiés à l’écran. Le personnage de Toranosuke est celui à travers lequel la voie du samouraï brille avec le plus d'intensité. Formé par un maître vertueux se faisant une priorité de transmettre la philosophie originelle entendue par la voie du samouraï, il s’évertue, dans cette logique, à trouver sa place dans une nouvelle société qui relègue au rang de meubles à mettre au rebus l’ordre des samouraïs dont il fait partie.

« Les derniers samouraïs » est en ce sens scindé en deux parties distinctes. Dans la première, Misumi expose les différents intérêts en jeu et pose les bases d'une guerre où le sabre est roi. L’occasion pour le maître du sabre d’orchestrer de superbes affrontements en mettant sur le devant de la scène des personnages inspirés de bretteurs hors pair qui ont marqué l'histoire du japon. Pendant près d'1h30, le cinéaste illustre avec précision la fin du bushido dans son sens le plus pur, en filmant les hommes qui y sont rompus se perdre dans des batailles d'intérêt qu'ils ne contrôlent plus. Le maître de Toranosuke lui dira d'ailleurs, avant d'aller vers une mort certaine, ces quelques mots : "Le fait de risquer ma vie m'a fait comprendre l'absurdité de ces affrontements. Mais le fait de comprendre certaines choses quand on vit ici bas, ne donne pas forcément le droit de s'y soustraire". Misumi met l'accent sur le destin des hommes qui étaient conditionné par leurs rangs sociaux dès leur naissance, l’image est forte, la déconstruction peut alors se mettre en marche.

Dans la seconde partie du film, Misumi s'attarde donc sur la fin de ces samouraïs. La plupart sont morts au combat, en assumant leurs devoirs moraux, défendant les intérêts de leurs maîtres jusqu'à leurs derniers souffles; les autres ont soit retrouvé une place un peu moins gratifiante dans la société, comme Toranosuke qui devient barbier, soit choisi le bon camp et ainsi obtenu une place avantageuse dans la nouvelle ère, troquant avec allégresse le sabre contre la moustache, nouveau symbole de sa réussite sociale.

Tout ce côté historique qui habite Les derniers s’absorbe avec passion. Le fait de suivre les destins croisés de différentes grandes personnalités, chacune ayant un caractère bien trempé, permet à l'histoire de sembler fluide, même s'il faut un peu s'accrocher pour bien cerner les différents camps qui se mettent sur la tronche. Ceux qui seront un peu perdus dans cette histoire complexe pourront noyer leur frustration en appréciant à sa juste valeur la précision formelle déployée par Misumi ainsi que son boulot millimétré sur sa photographie ainsi, pensé pour rendre les phases de combats terriblement dynamiques. C’est tout le savoir faire du réalisateur dans ce domaine qui s’exprime lors que les sabres déchirent la nature : les duels sont très intenses, ne s'éternisent jamais, leurs issues sans cesse contenues dans l'explosion de détermination qui anime les combattants, preuve qu’on est en présence de l’œuvre d'un réalisateur emblématique du Chanbara.

Au fatalisme un peu triste concluant les destins tout tracés des différents hommes qui jalonnent son histoire, Misumi oppose celui de son protagoniste et insère dans sa fresque historique une belle dose d'espoir et de positivisme à travers son parcours. Les temps changent, il faut s'adapter sans forcément regretter ce qui se finit. D'autant plus que la voie du samouraï n'est finalement pas qu'une histoire de prouesses, sabre en main. Pour le cinéaste, il s'agit bien plus d'un état d'esprit, d'une philosophie de vie universelle. Le message que véhicule sa fresque très ambitieuse fait mouche et convainc, avec naturel et panache.
oso
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le 21 mars 2014

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