Le second film de Robert Bresson (suivant Les Anges du péché) n'est le préféré ni de ses amateurs ni du cinéaste lui-même. Bresson sera même tenté de le renier car (en plus d'être contrarié dans son tournage par l'agitation de la fin de la seconde guerre mondiale) il ne satisfait pas ses critères rigoureux, les acteurs étant trop expressifs, leur phrasé n'étant pas parfaitement sec et atone comme il le sera plus tard (dans Pickpocket ou Un condamné à mort). La méthode Bresson est pourtant bien de la partie, mais plus glacée et manifeste que jamais, enlaçant des objectifs clairs ; cette simplicité embarrassante permet justement d'aller droit au but.


D'une part, les manières de Bresson se présentent de la façon la plus naïve et péremptoire qui soit. Cela rend la chose relativement ridicule, tant le naturel est absent et l'intrinsèque dénié. Or en se ramassant de la sorte, avec une telle netteté, Bresson ouvre une brèche. Son œuvre tourne le dos au réalisme, mais non pour singer ou réformer le théâtre qu'il s'acharne à tuer tout le long de sa carrière (en arrivant à délabrer tout contenu et démultiplier la stérilité). Cette non-vie, cette artificialité en chaque chose, ce cortège de représentations mortes, participent à la construction d'un objet ultimement vain (l'opus le plus ouvertement futile de Bresson, sur le plan du script par exemple) mais d'une joliesse saisissante, pure, brutale, tendant à l'intemporel.


Cet assèchement systématique est payant sur le plan symbolique et de façon plus pragmatique. Il cristallise avec un minimalisme pédant et un romantisme très technique l'attitude générale d'un milieu, où les apparences seules sont prises au sérieux. C'est sur ce terrain que Hélène opère sa vengeance ; les manœuvres ne sauraient être directes. L'étrange présence de Maria Casarès pousse à son paroxysme cette domination de la trivialité, dont on ne se départ pas pour autant. Les dames du bois de Boulogne reste en effet un drame bourgeois presque risible par son sujet. Les enjeux sont misérables, insuffisants pour donner matière à un soap efficace ; mais ce qui existe de matière et surtout la vengeance souterraine, est commenté comme s'il s'agissait de tragédies monumentales.


Ces tragédies restent fugaces et les sentiments sont toujours tenus à distance, destinés à trouver une conversion plus noble. Hélène/Casarès traîne sa rancœur avec flegme et hauteur, traite ses expériences comme un automate étranger et continue néanmoins à manipuler cette existence. Dans et pour le film, c'est une actrice pleine d'esprit et sans âme. Autour d'elle, les hommes sont des playmobils raides et appliqués, les femmes des espèces d'objets en représentation ; l'une crache son venin ou tache de briller, l'autre étale ses tourments ou médite à haute voix ; toujours avec distance, comme outils d'une mise en scène hiératique et des dialogues spirituels de Jean Cocteau. Bresson a réussi à figurer des volontés, des élans se déployant avec langueur, en racontant et faisant 'jouer' le moins possible, en y infiltrant le moins de préjugés ; en somme c'est un produit bressonien tout à fait accompli. Son tort pour les puristes (dont Bresson) est probablement de ne pas laisser les conditions, les mouvements, déterminer davantage le 'sens' ; d'être trop fermé, fini.


https://zogarok.wordpress.com/2018/04/08/les-dames-du-bois-de-boulogne/

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le 2 juil. 2015

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