Quoi de plus banal qu’un centre de Planning familial ? Et quelle drôle d’idée d’en faire le lieu unique d’un film de deux heures, à la frontière du documentaire et de la fiction ? A priori ces interrogations – que l’on admettra volontiers masculines – Claire Simon les a très vite évacuées, préférant s’attacher aux événements dramatiques, tragiques, plus rarement légers, qui s’y vivent, s’y confient et viennent y chercher des solutions, des aides.

Ca se passe tout en haut d’un immeuble haussmannien avec vue sur les toits. Un lieu à la jointure du ciel et la terre, d’où montent déjà diffus les bruits de la rue et d’où le regard peut s’élancer vers le ciel immense, quand on se réfugie sur le balcon, le temps d’une pause, d’une cigarette. Dans ce grand appartement, se déroule une succession de consultations et d’entretiens dispensés par des conseillères – travaillant parfois en binôme avec des stagiaires – qui reçoivent des adolescentes, des femmes, aux origines et conditions diverses, venues seules ou accompagnées d’une amie confidente. Ici s’expriment les peurs ancestrales inscrites au sein même de la condition féminine : angoisse d’être enceinte, projet d’avorter, crainte d’avoir à affronter l’entourage familial (où la mère constitue la figure prépondérante) , mais aussi interrogations intimes et éternelles sur comment on se débrouille avec son propre corps, ses métamorphoses et le pouvoir unique et terrifiant de la fécondation.

Claire Simon, passée du documentaire à la fiction continuant à s’ancrer dans le réel, a mis en place un dispositif singulier qui ne nuit en rien à la cohérence et à la force de son film. Elle a en effet choisi de confier le rôle des conseillères à des actrices renommées : Nathalie Baye, Nicole Garcia, Isabelle Carré, entre autres et celui des patientes à de jeunes comédiennes pour la première fois à l’écran. La différence d’interprétation qui aurait pu logiquement en résulter n’apparaît jamais : bien au contraire, toutes ces actrices jouent à jeu égal et semblent tisser entre elles une solidarité séculaire dont les hommes sont par nature étrangers, sinon exclus.
Écrit à partir de centaines d’expériences réelles, le scénario s’est efforcé de respecter la langue de chacune, la maladresse ou la brutalité de certaines paroles, la difficulté à dire les mots, longtemps enfouis et soudain expulsés en un jaillissement libérateur. En 2008, c’est presque avec surprise que l’on découvre que l’IVG, la contraception ou la séropositivité demeurent des questions tangibles, derrière lesquelles se cachent des tragédies personnelles, porteuses à leur tour de questionnements fondamentaux sur la garde ou non d’un enfant.

Entre les entretiens souvent chargés d’une émotion croissante, où les regards et les silences sont aussi expressifs qu’un flot de paroles, la réalisatrice prend le pouls de ces Bureaux de Dieu, où l’on rit, pleure, s’épaule, tant la souffrance et le désarroi traversant les existences des femmes venues consulter, ne peuvent laisser indifférentes les conseillères. L’implication des comédiennes, stars ou débutantes, en tant que femmes engagées imprègne tout le film et fait toucher du doigt au spectateur une contrée inconnue. Où des rencontres d’égale à égale se tissent dans un respect identique de la confession et de l’écoute.
Les Bureaux de Dieu se conclut par la visite d’une prostituée roumaine : son étrange histoire révèle en filigrane la force de l’amour. Il est aussi un vibrant hommage à la puissance de la parole. Film essentiel.
PatrickBraganti
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le 5 sept. 2013

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