Une amitié brisée, une solitude redoutée

Il est presque compliqué de parler de ce film tant il a pu me plonger dans un état presque second. En sortant de la salle exit le métro, j'avais besoin de marcher, de m'allumer une clope et de prendre mon temps pour rentrer chez moi. Je n'avais aucune envie d'en sortir tant c'était agréable. Cette sensation, ça faisait un bout de temps que je ne l'avais pas ressenti en sortant d'une salle de cinéma.

Les Banshees d'Inisherin raconte l'histoire de Padraic interprété par le fantastique et sous estimé Colin Farrell qui se questionne sur les raisons qui ont poussé son ami de toujours Colm (merveilleux Brendan Gleeson) a ne plus lui adressé la parole.

Le film part d'une constatation très simple et si on le résume en substance, il ne se passe pas grand chose, et c'est justement tout le côté complexe de cette oeuvre.

Imaginez que vous habitez sur une île au large de l'Irlande, en 1923, et que vous n'avez que pour seules activités de converser avec les habitants de l'île, boire au pub, et faire paitre vos bêtes. Une vie certes dépaysante mais somme toute très chiante... Alors imaginez que votre meilleur ami que vous voyez tous les jours décide sans raison apparente de ne plus vous parlez. Ca c'est un changement énorme dans votre petite vie morose et insipide parce que, qu'est ce que vous allez pouvoir faire maintenant sans lui?

Padraic ne pouvant avaler les raisons de cette rupture va être poussé à changer son quotidien. Plus rien ne sera pareil dorénavant. Tout cela peut paraitre bien insignifiant pour nous (pas de quoi en faire tout un film me direz vous) mais essayez de vous placer une minute dans le contexte dans lequel sont ces personnages.

Cette rupture va les amener à se poser des questions existentielles sur leurs vies et sur leurs destinées. Colm a la sensation de faire du sur-place sur cette île, se disant qu'il ne laissera pas d'héritage après sa mort. Padraic quand a lui s'en moque bien, il veut simplement être heureux avec ses amis et ses bêtes autour de lui et puis, après tout, l'important n'est-il pas que nos proches et notre descendance se souviennent de nous après notre mort? Est-il si important d'être reconnu aux yeux de tous et de laisser notre trace de manière universelle dans ce monde?

Le constat fait ici par le réalisateur est que sur cette île, les destins de tous sont déjà tracés. Ils vivent au milieu de nulle part, loin de toute technologies et modernité dans un endroit où il n'y a RIEN et où la plupart des habitants sont des bonnes pattes mais pas bien érudits. On pourrait presque y voir un sentiment que Martin McDonagh a pu ressentir lorsqu'il vivait à Galway dans son enfance.

Drôle, touchant, bouleversant et nécessaire, Les Banshees d'Inisherin est LE film à voir en ce début d'année.

L'écriture des personnages est tout simplement parfaite, tout comme la mise en scène de Martin McDonagh qui sublime les paysages irlandais dans des décors somptueux. Le rythme volontairement lent du film nous permet de nous rapprocher de chaque personnage du plus benêt au plus intelligent et l'on peut ressentir une petite part de nous en chacun d'eux. On a envie de vivre comme eux, de quitter la ville et ses nuisances pour une vie plus paisible mais on les plains également d'être voué à finir leurs jours sur cette ile.

Les interprétations de chaque acteurs sont formidables. Colin Farrell est absolument magistral. Son interprétation de l'idiot un peu creux mais d'une gentillesse folle, rongé par la solitude et la douleur est d'une justesse admirable. Ca sent l'oscar à plein nez. Et ce serait mérité. Brendan Gleeson est d'un charisme fou et magnifie parfaitement les motivations de son personnage.

Kerry Condon est également excellente avec cette volonté de prendre le large et de se libérer de cet îlot. Barry Keoghan est encore une fois bluffant et confirme qu'il est un jeune acteur à suivre. Jouer un personnage "retardé" est particulièrement périlleux mais il arrive à le rendre "attachiant" de la plus belle des manières.

La BO est encore une fois superbe et sent l'Irlande à pleins nez. Les violons mêlés aux accordéons nous offrent toute la beauté de la musique celtique. Ca sent le frais, le blé, le vent, on s'y sent bien.

Les Banshees d'Inisherin ne vole pas ses nominations aux Golden Globes (et certainement aux Oscars). Ce film est beau, poignant, drôle et nécessaire parce qu'il est parfois important de se poser des questions sur soi, sa vie et sa destinée.