Premier long-métrage du (tchéco-)slovaque Juraj Jakubisko, après des courts expérimentaux l'affiliant déjà au « miracle tchèque » dans les yeux des observateurs – ce courant renvoie à un groupe de jeunes réalisateurs innovants des années 1960-70, faisant écho à des mouvements similaires en Occident. Kristove Roky ('Les années du Christ') focalise sur de jeunes adultes en fugue absurdiste, plutôt artistes, vaguement bohèmes, peintres de profession. Ils vivotent dans un certain luxe et en restant connectés à la civilisation, contrairement à l'équipe des Oiseaux, les orphelins et les fous (opus de Jakubisko sorti peu après).


Eux sont impulsifs et posés à la fois, le metteur en scène esthète. Il offre un écrin superbe à ce projet soigneusement déconstruit et au fond insipide. Pas d'élans ou même d'espoirs un peu solides ; ces gens-là sont trop volatiles et superficiels pour que leurs détresses ou leurs richesses, s'il y en avait, soient dignes d'intérêt. Kristove Roky est un film-potiche presque nul, comme l'est tout objet stérile et refusant de se fixer, mais éblouissant. Il suit ses protagonistes sans courage, sans autre prise en main autre qu'à la décoration – souvent tendre et brillante. Le seul motif sérieux, hormis les plaintes des vieux qu'on laisse couler pour les écarter en douceur, c'est l'intensification des sentiments, au travers du triangle amoureux, décelable derrière les jeux et la procrastination. Ce ne sont que leurs jeux justement ; leurs minauderies, leurs attractions et envies ; c'est du sec à l'envers. Les vibrations préférées sont dans l'air, les relations ; les faits, les choses et même les gens sont des récepteurs tristes.


Cet exercice est dans la lignée des « nouvelles vagues » des années 1960. Il en partage le côté glamour, bouillonnant et casseur de codes, a également des tics évoquant son camarade et contemporain Trains étroitement surveillés (qui n'a pas sa propension au laconique exalté). Il développe sa propre originalité en virevoltant, collectionne ses images, balade ses personnages-figurines. Dans le grand atelier clairsemé surnage un brouillon de documentaire, défiguré par le romantisme. Pour un réalisateur, c'est une belle réussite ; il montre immédiatement sa maîtrise, a le talent et les marges nécessaires pour faire dans la pose à outrance sans en devenir affligeant. La mise en scène est marquante et affirme une liberté. Le travail sur le son, les décors et la photo blanchis, les perspectives et mouvements de caméra, apportent un souffle propre, peut-être court (dans tous les sens) mais toujours renouvelé. Jouant l'insaisissable comme le Juraj du film (un genre de faux-benêt royal, vrai guignol narcissique et assoupi), probablement nommé ainsi en écho au réalisateur.


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le 1 déc. 2016

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