Le cinéma peut représenter beaucoup de choses pour une personne. Un exutoire, un défouloir, une inspiration. On ne va pas toujours voir des films pour les mêmes raisons à chaque fois. C’est vrai, parfois on aime rire et se divertir devant un film sans prise de tête, mais, parfois, il fait bon, aussi, de prendre le temps de contempler et réfléchir. Certains réalisateurs comme Akira Kurosawa, Ingmar Bergman ou encore Andreï Tarkovski en on fait leur spécialité, et c’est ce qui fait encore aujourd’hui la beauté de leur cinéma. Les Ailes du Désir, de Wim Wenders, est de ces films à la réputation particulière, semblant réservés à des privilégiés, ou des courageux qui oseraient s’aventurer à son visionnage. Mais il semblait inconcevable de passer à côté plus longtemps.


Baignant dans un noir et blanc éthéré et morne, c’est une ville de Berlin encore séparée par le Mur qui se dévoile devant nos yeux. Un regard aérien nous transporte dans cet univers paradoxalement terne et cosmopolite à la fois, où grouille une population qui bouge et qui pense. Progressivement, cette vision macroscopique progresse vers quelque chose de plus personnel, jusqu’à entendre les pensées de tous ces anonymes. Cassiel et Damiel, deux anges observateurs, deux esprits vagabonds, sont nos points de contact avec la conscience de toutes ces personnes. Si nous ne pouvons pas discerner les pensées des autres, eux peuvent le faire, et c’est ce qui apporte toute sa magie aux Ailes du Désir. Le regard passif des anges nous impose d’être dans la même démarche d’observation, de contempler, d’écouter et de chercher à comprendre, si comprendre quelque chose est nécessaire, bien entendu.


Berlin est montrée comme une ville exsangue, où les cicatrices de la guerre n’ont pas encore été totalement guéries. Pourtant, les cœurs battent et les âmes s’animent en cette fin de décennie 1980. Les anges sont là et veillent, ils viennent réchauffer un cœur meurtri, remettre une âme en peine sur le droit chemin, pour tenter, à leur manière, de fermer eux-même ces cicatrices et d’embellir l’humanité grâce à leur omniscience. Car pour eux, tout n’est qu’éther, constance et perfection, ils ne connaissent ni la véritable souffrance, ni l’exaltation provoquée par la joie. Ils peuvent l’insuffler, mais ce n’est que parce qu’ils l’inculquent à des humains qu’eux-seuls sont capables de générer en tant qu’êtres humains. C’est ici, alors, que se crée la faille créée par Damiel. Celui qui voit tout et entend tout tombe amoureux d’une femme, qui ne peut le voir ni l’entendre. L’ange décroche alors ses ailes pour enfin apprécier la chaleur humaine, la beauté des sentiments, les sensations du monde réel, de goûter à la fragilité qui donne à l’humain son authenticité.


Le visionnage du film m’a rapidement fait établir un parallèle avec le Stalker d’Andreï Tarkovski. Tout d’abord, par sa densité et sa capacité à appréhender la condition humaine dans son ensemble en la contemplant avec lenteur, attention et poésie. Par ailleurs, il s’agit également de faire de la fragilité de l’être humain une de ses forces et d’en faire aussi un élément indissociable de sa nature, comme le racontait le Stalker dans le film de Tarkovski : « A sa naissance, l’homme est faible et malléable. Quand il meurt, il est dur de chair et de cœur. Le bois de l’arbre qui pousse est tendre et souple. Quand il sèche et perd sa souplesse, l’arbre meurt. Cœur sec et force sont les compagnons de la mort. Malléabilité et faiblesse expriment la fraîcheur de l’existant. C’est pourquoi ce qui a durci ne peut vaincre. » Ici, Wim Wenders choisit d’utiliser un poème sur l’enfance comme fil rouge pour illustrer l’innocence, la découverte sans a priori, et aussi la même fragilité, que n’ont plus certains adultes désabusés par leur existence et qui ne lui trouvent plus de but.


Dans Les Ailes du Désir, c’est toute l’humanité qui se meut, qui réfléchit, qui espère, désespère, qui se cherche, à l’image de Wim Wenders qui tente de retrouver ses repères dans son pays natal. Mélancolique, poétique, lointain, philosophique, c’est un film très dense qui offre au spectateur un flot d’images toutes aussi belles les unes que les autres, et une superbe expérience qui ne peut, sans aucun doute, qu’être inoubliable.

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le 30 déc. 2017

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