Film italien de mafia

Avis sur Le Traître

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La séquence d’ouverture de Il traditore n’est pas sans rappeler les films de Coppola. Le film s’ouvre sur une grande fête qui rassemble des familles de mafieux de Palerme. Pourtant ce film italien est bien différent des films de mafieux américains. Ils sont ici démythifiés, voire tournés en ridicule.

Il traditore nous raconte l’histoire de Buscetta, un homme connu de tous en Italie et à Palerme où il a vécu. Il est connu au point que son nom est utilisé dans une expression qui dit tout ou presque… Dire : « c’est un Buscetta », c’est dire : « c’est une balance » ! Pas très flatteur… Buscetta a été en effet le premier mafieux a coopérer avec la justice et à dénoncer les membres de la mafia.

Tourné par un grand réalisateur italien: Marco Bellocchio, ce film est bien documenté. Bellocchio a rencontré, entre autres, le procureur, Giuseppe Ayala, qui a présidé le maxi procès, mais aussi des mafieux qui ont été condamnés. Le film est au plus proche des événements racontés. Parmi celles-ci, la scène véridique de Christina, la femme de Buscetta, suspendue dans les airs depuis un hélicoptère au Brésil pour faire parler Buscetta qui avait été auparavant torturé sans aucun résultat.

La réalisation est sèche, brute. Bellochio ne s’étale pas et s’éloigne du style américain. Les scènes de fusillades en particulier sont rapides, Bellochio a voulu rendre les méthodes de la mafia, ce sont des actions éclairs et efficaces. Ou encore l’explosion de la voiture de Falcone : Bellochio ne voulait pas une explosion à l’américaine, il a eu l’idée de montrer la scène de l’intérieur de la voiture de Falcone. C’est tout autant spectaculaire, mais bien différent grâce à ce plan immersif.

Pierfrancesco Favino, célèbre acteur italien, campe un Buscetta très convaincant. Il a étudié longuement sa gestuelle, sa façon de parler et il a réussi à imiter à la perfection son accent qui est un mélange particulier d’intonations portugaises et siciliennes au point que le juge assesseur qui l’avait entendu parler longuement lors du maxi procès dit : « En fermant les yeux, je croyais entendre la voix de Buscetta ».

Il traditore est centré sur le thème de la traîtrise. Buscetta a « balancé » les membres de la mafia, quelque chose d’inimaginable jusque-là. Pourtant il s’est toujours proclamé membre de Cosa Nostra, il en était fier. Qu’est-ce qui l’y a poussé ? Le film reprend ses arguments : La Cosa Nostra, n’était plus ce qu’elle était, elle avait trahi ses valeurs fondamentales. En effet, au début des années 80, les Corleone veulent mettre la main sur le trafic d’héroïne. L’ascension du chef de la Cosa Nostra, Toto Riina, se fait dans un bain de sang. La Casa Nostra sombre dans une violence aveugle tuant des femmes, des enfants et pas seulement des mafieux, et aussi des magistrats, des enquêteurs, des hommes politiques. Or le code de la mafia ne prévoyait pas de s’attaquer à eux. C’était là quelque chose de nouveau. Buscetta condamnait ces actions. Selon lui, les traîtres de la mafia, c’étaient eux et non pas lui ! Mais par-dessus tout, en parlant et en dénonçant les mafieux, il a voulu se venger des assassinats de plusieurs membres de sa famille dont ses deux fils qui n’avaient rien à voir avec le milieu.

Si Buscetta a accepté de parler, c’est parce que il a eu en face de lui le juge Falcone, un magistrat intègre qui n’avait aucune complicité avec le milieu mafieux. Situation rare dont il n’a pas manqué de profiter. Le juge est magnifiquement campé par Fausto Russo Alesi. Bellochio lui a dit : « Tu dois chercher la simplicité, tu dois te sentir libre, pas de fioriture, aucun narcissisme possible ». L’acteur a su prendre en compte ces indications du réalisateur. Sa performance est impeccable.

Le film nous plonge dans le maxi procès qui s’est tenu en février 86 et qui a mis en accusation 360 mafieux grâce aux révélations faites par Buscetta. La scène a été tournée là même où le procès a eu lieu. La salle est restée inchangée. Ce tribunal collé à la prison de Palerme avait été construit spécialement pour l’occasion. C’était une structure blindée capable de résister à des armes lourdes, un vrai bunker. Le long des murs, il y avait plusieurs cages renfermant des groupes de détenus. Cette séquence du film est probablement incroyable et prend des airs de comedia del arte. Les événements rapportés se sont réellement déroulés : mafieux simulant une crise d’épilepsie, un autre se cousant la bouche pour protester, un autre se dénudant. Si ces faits sont réels, Bellochio a fait le choix de théâtraliser cette séquence et de rendre grotesques les mafieux. Les comportements, les dialogues sont surréalistes ! Impossible de vouloir leur ressembler après cela ! Impossible de tomber dans la fascination pour les mafieux comme cela peut se produire avec les films américains. Cette séquence se termine avec le verdict qui condamne les mafieux tandis que résonne le morceau de Giuseppe Verdi : va pensiero.

Le réalisateur avait le souci de ne pas présenter Buscetta comme un héros, le seul héros de cette histoire c’est le juge Falcone. Buscetta respectait les codes de la mafia, mais c’était un assassin. Une scène finale, nous rappelant qui il était, nous le montre plus jeune, tuer de sang froid un homme selon les ordres qu’il avait reçus.

Si l’on regarde ce film, il est recommandé de connaître déjà un peu le milieu et ses grands noms pour comprendre de quoi il retourne. Ce n’est pas le but du film de les présenter.

J’ai apprécié cette approche de la mafia bien différente de l’approche américaine. Il traditore est un film réaliste. La majeure partie des acteurs sont des siciliens, ils connaissent bien cette histoire. Les acteurs principaux sont impeccables. Le rythme est soutenu, les plans soignés, le sujet maîtrisé. Le film a rencontré le succès en Italie. Malheureusement la mafia est toujours bien en vie et liée inextricablement aux politiques…

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