Disclaimer : ce n'est pas un véritable article, juste un billet d'humeur sur le dernier film de Bellochio.
Si le format vous plaît (ou non), n'hésitez pas à me l'indiquer dans les commentaires.


Je n'ai pas de connaissance particulière dans la Cosa Nostra, si ce n'est une vague représentation romantique ou tragique (quoique nuancée) telle qu'elle a pu être l'apanage du nouvel Holywood (pensez Coppola, pensez Scorcese).
Le traître c'est Tommaso Buscetta, repenti notoire dont les témoignages permirent de mettre sous les verrous un nombre impressionnant de ses anciens associés du crime organisé.
L'idée générale c'est de montrer un visage non-idéalisé et encore moins chevaleresque de la mafia italienne. De porter le regard d'un italien sur une organisation qui a détenu le pouvoir sur son propre pays. Une organisation qui semblait défendre les intérêts des petites gens en promouvant un système de valeurs, les fameux piliers moraux de la mafia cinématographique.
Le Traître est un lendemain de fête, une gueule de bois permanente. Partant d'une exposition plutôt festive, bien que rapidement troublée, elle s'achève sur une photographie de tous les cappi d'alors.
Avant que l'organisation ne bascule dans une purge visant l'éradication des familles concurrentes par les Corleone.


Tommaso assiste depuis le Brésil à la mort des membres de sa famille, d'honneur et de sang. Il n'a pas le temps de se convaincre de retourner en Sicile qu'il est déjà arrêté, puis rapidement torturé par les brésiliens pour ses activités illicites sur leur territoire.
Après une tentative de suicide ambiguë, il est finalement extradé en Italie où il fait la rencontre de Falcone, un juge qui entend démanteler la Cosa Nostra.
Convaincu que son organisation est décadente, endeuillé et "victime" des ambitions des autres familles, il se met à table.


J'ai beaucoup aimé une relative absence de complaisance. Je dis bien relative parce que d'un côté Bellochio n'a aucune ambiguïté morale vis-à-vis des figures mafieuses qui gravitent autour de son personnage, de véritables animaux en cage, autant le traitement de Tommaso me semble un peu plus ambigu, mais c'est parfaitement normal.
Un personnage qui vit dans l'illusion d'une certaine moralité, une certaine hypocrisie. Il prône la valeur de la famille, mais livre un de ses fils à la drogue et ne sait pas les protéger alors qu'il en a l'occasion.
Il prône le respect de valeurs essentielles pour la mafia alors qu'il trempe dans le meurtre et la drogue depuis son adolescence.
D'où l'apport de Falcone et des magistrats : la "belle" mafia, le contre-pouvoir qui offre des emplois et de meilleures conditions de vie aux siciliens semble n'avoir jamais existé.
Comme un délire collectif, un groupuscule d'individus bien intentionnés dont le goût du pouvoir et de l'argent a causé la perte des idéaux moraux qui les avaient poussés.
Suivre Buscetta tout le film nous pousse nécessairement à éprouver un minimum d'empathie pour le personnage.
Traîné dans la boue, diffamé, on n'échappe pas à une certaine forme de complaisance, qui finalement est malmenée grâce à la scène de clôture du film.


On parlait de l'intérêt de réaliser un biopic par rapport à un documentaire, et j'avais répondu qu'il était pour moi question d'apporter un traitement inédit au personnage.
Je ne suis pas en mesure de jouer aux sept différences, mais je suppose que le réalisateur et le scripts ont cherché à retranscrire les faits avec un minimum de fidélité.
Le traitement du personnage, in extenso de la mafia entière, m'apparaît ici comme l'un des intérêts majeurs d'aller voir Il Traditore. Il est en plus excellemment incarné par Pierfrancesco Favino.
Mais gardez bien en tête que le dernier Bellochio est avant tout un film qui repose sur des dialogues : principalement les entretiens avec Falcone et les auditions au tribunal. On est finalement assez loin des représentations habituelles.
C'est une approche que j'oserais qualifier de "naturaliste", au lieu de "réaliste". L'épaisseur du récit est finalement apporté par les détails de la reconstitution du quotidien de Tomasso, qui font nécessairement la part belle à la fiction.
Mais tout répond à une certaine sobriété.


L'autre tableau que le film ne rate pas, c'est la case purement formelle.
Si j'ai trouvé que les scènes d'assassinats qui achèvent l'exposition manquent de punch et peut être d'identité, on est rarement désappointés par la proposition du réalisateur et de son équipe technique.
Je ne suis pas suffisamment averti pour parler du cinéma italien, mais il y a dans Il Traditore des plans qui lorgnent du côté d'Hitchcock (des bouts de Vertigo), de Kubrik (une symétrie des plans recherchée) et même parfois un peu de giallo dans des scènes bien particulières. Me resteront en tête principalement un délire cauchemardesque assez dingue et un attentat particulièrement réussi, qui justement part d'une sobriété formelle exploitée jusqu'alors pour nous offrir un résultat décoiffant.


Voilà, je pense qu'écrire ces quelques lignes m'a permis de réfléchir un peu plus sur le film et de finalement considérer qu'il s'agit d'un très bon film.
J'espère que ça vous a donné envie d'aller le voir.
Pour les autres sorties, entre le dernier Costa Gavras et le nouveau Rian Johnson, je sais que je vais passer d'autres très bons moments au cinéma.

YvesSignal
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le 12 nov. 2019

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Yves_Signal

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