Voilà plusieurs mois que j’explore le giallo, une frange du cinéma italien bien connue des cinéphiles. Ce courant cinématographique ayant pris naissance dans les années 60 pour se terminer dans les années 80 nous présente, pour résumer grossièrement, des tueurs masqués qui prendront plaisir à massacrer des femmes, souvent de manière originale et magnifiquement sinistre. Entre érotisme, massacre et litres de faux sang, le giallo fera la part belle aux plus audacieuses des formes esthétiques. Aux commandes, nous retrouverons des noms comme Bava, Fulci, Dallamno ou encore Martino. Mais un artiste se démarquera bien plus que ces confrères : Dario Argento. Après avoir regardé nombre de ses propositions, il semble bien être le grand maître du genre, celui qui nous aura offert les œuvres les plus marquantes, et dont le nom traversera les âges.


Le Syndrome de Stendhal, long métrage dont nous parlons aujourd’hui, apparaît sur nos écrans bien après le déclin du giallo qui ne dépassera pas les années 80 (la critique semble s’accorder sur le fait que Ténèbre, en 1982, signe le dernier grand film du sous genre italien). Notre cher Dario revient donc en 1996 avec une proposition qui, sous de nombreux aspects, vient faire revivre le giallo. Et autant vous le dire tout de suite, l’essai est transformé.


Les changements opérés ne trahissent en aucun cas l’esprit des films du passé, et il est amusant de voir que le long métrage vient jouer avec les codes, tout en l’adaptant aux années 90. Le sous genre italien a de tout temps représenté une part sombre de sa société. Le tueur masqué, toujours frustré, devait observer une jeunesse éprise de liberté, notamment sexuelle, sans pouvoir en profiter. Cette frustration se transformait alors en vengeance et en massacre. Avec Le Syndrome de Stendhal, cette frustration existe toujours, mais son mode d’expression a changé. Bas les masques, il faut faire plus vite et plus fort. L’enquête progressera avec un rythme bien plus effréné que dans les films plus anciens, et le film se construira en deux blocs distincts, que je vous laisserais découvrir (l’idée n’étant pas de dévoiler des éléments du récit). Ici, le tueur ne sera pas masqué, son visage étant dévoilé dès les premières minutes du film. Nous sommes entrés dans le monde moderne, la déviance ne se cache plus. Au contraire, elle s’affiche, et veut être perçue avant de s’exprimer. En parallèle, l’arme blanche, outil privilégié par les tueurs masqués des gialli originels, vient laisser sa place à l’arme à feu. Il faut qu’elle soit vue, faire du bruit. La déviance est toute puissante, elle doit s’exprimer dans sa forme la plus brutale, la plus voyante, la plus extrême. Mais elle ne doit pas être grossière pour autant. Comme toujours avec ce courant, le déviant est un artiste, le massacre une œuvre d’art. De la même manière, la violence s’associe toujours à l’érotisme. L’arme à feu viendra exprimer la toute-puissance de celui qui l’a en main, et lui permettra d’asseoir sa domination. Entre torture et viol, le massacre se terminera par une pression sur la gâchette, comme si cet acte représentait la jouissance suprême. L’assassin pourra ensuite admirer son travail, jusqu’à glisser son regard à travers ce trou béant, dans le visage de la victime, et sourire.


Au cœur du film, la fascination d’Anna Manni (jouée par Asia Argento, fille du réalisateur) pour diverses œuvres d’arts, et notamment des peintures. Sujette à des hallucinations et des vertiges à leur contact, elle se verra capable de rentrer à l’intérieur même des tableaux qui l’obsèdent. Incrustation du fantastique dans le récit, ou simple fantasme ? Le spectateur fera son choix. Il me semble que le sujet du film se tient là, sur la capacité des œuvres artistiques à venir bouleverser nos sens, notre rapport au monde, qu’il soit réel ou imaginé. Si l’œuvre peut dépeindre une société, une manière de vivre, elle peut également façonner nos sociétés et diriger nos pensées. Ce va et vient incessant entre l’œuvre et le monde est omniprésent dans le film.


Dario Argento oblige, à l’image de ses tableaux que l’héroïne peut traverser et explorer, l’aspect formel est omniprésent. Entre effet 3d, zoom, dezoom, mouvement de caméra qui crée la surprise, l’artiste garde un intérêt toujours intact pour une mise en scène qui aspire à la nouveauté, qui explore les possibles. Pour accompagner ces envolées formelles, l’excellent travail d’Ennio Morricone qui comme à son habitude signe une partition des plus succulentes. Déjà auteur de bon nombre de bandes originales de giallo, il écrit ici une musique à la fois hypnotique, mystérieuse et pleine de vie. Je vous assure que les notes du thème principal vous resteront en tête tout autant que les délires déviants qui s’offriront à vous lors du visionnage.


Il est certain que ce mouvement cinématographique a marqué le cinéma mondial d’une empreinte délicieusement macabre. L’influence qu’a Dario Argento sur le cinéma d’épouvante, et sur le cinéma en général est indéniable. Nous pouvons alors dire que Le Syndrome de Stendhal est probablement le dernier éclat, même si le bonhomme est encore actif à l’heure où j’écris ces mots, d’une filmographie qui prend sa place dans l’Histoire du cinéma.

Lemeneux
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le 3 janv. 2024

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