Émancipation tardive d'un pro du cacheton

Quand Lautner sort l’acide sulfurique de l’armoire à pharmacie pour mettre un coup de javel corrosif à la bonne moralité, il ne le fait pas à moitié, et ne s’arrête que lorsque le vernis des fausses apparences finit de se dissoudre totalement.


A l'occasion d’un crime commis au sein d’une communauté tranquille, il pointe du doigt les hommes importants qui la dirigent. Jouissant d’une éducation qui leur a permis de glaner influence et pouvoir, ils sont à même de se substituer à la justice pour orienter cette dernière lorsqu’elle peut servir leurs intérêts. Peu importe que le crime soit résolu par un procès rétablissant la vérité, du moment que l’issue de ce dernier ne remet pas en cause la belle hiérarchie de leur communauté. Et si dans le même temps, ces salopards de hippies aux mœurs douteuses, qui s’amusent de la vie au lieu de la prendre au sérieux, peuvent prendre un coup derrière la nuque, ce n’est que bénéfice.


Lautner trouve en Blier la parfaite palette émotionnelle pour véhiculer son cynique et acerbe portrait. Regard assuré, éloquente diction, il incarne avec la moindre parcelle de son être un pharmacien au fort tempérament, respecté par sa communauté, qui renoue avec son individualité au moment même où il est victime d’une pulsion meurtrière, geste irrémédiable qui le coupe enfin du monde sans aspérité qui l’avait avalé. L’heure pour lui de faire le point, se rendre compte qu’il vit emprisonné par les règles d’une société rassurante prônant la seule réussite sociale : une vie de famille tranquille et un travail respectable fait avec le sourire.


Entre remise en cause du bonheur rassurant que peut revêtir la vie de famille, dénonciation d’une justice à deux vitesses et choc de mentalités contraires, Lautner dresse dans le septième juré un portrait dépressif d’une société qui tente de dissimuler les travers de son humanité sous une superficialité faite d’apparences.


L’ironie tente bien de se frayer un chemin dans cette noire démonstration, au moyen de dialogues savoureux, mais c’est toujours éphémère. Le septième juré ne se construit pas par l’humour, mais bel et bien par un pessimisme total, qui prend parfois les traits de composantes un peu exagérées, comme cet ancien soldat décidément trop patriote ou cette voix off qui martèle un peu trop vivement son propos. Pour autant, il n’est pas envisageable de se lancer dans un discours si subversif sans aller au bout de ses idées. Lautner l’a bien compris et fait preuve d’une liberté de ton totale— quels dialogues !— qui lui permet de faire le tour de son sujet épineux sans s’encombrer d’une nuance qui aurait pu être rassurante.


En cela, la fin totalement désespérée de son entreprise en dit long sur le pessimisme résigné qui semble l’habiter. Le septième juré est un film profondément humain, touchant parce qu’il n’est peuplé que par des hommes solides à première vue, qui deviennent pourtant, victimes à leur tour, en fonction du point de vue avec lequel on les considère. Un film glacial, qui ôte toute bonne humeur mais inspire une belle dose de respect. Lautner, non content d’y dérouler un message fortement corrosif, marque les esprits par une mise en scène au cordeau, une fantastique photographie très contrastée et des points de vue saisissants qui finissent de faire de sa proposition un sacré moment de bravoure.




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oso
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le 16 sept. 2014

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