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Pierre Goldman est un personnage unique, complexe. Fils de grands résistants de la région lyonnaise, d'origine juif polonais, intellectuel brillant, militant, gauchiste, guérillero en Amérique du Sud, écrivain, braqueur, flambeur, fêtard , beau parleur, provocateur, insaisissable et autodestructeur (son rêve ? mourir en martyr les armes à la main. Il faut dire qu'il a baigné dans les récits des exploits de la Résistance durant toute sa jeunesse). Braqueur oui mais pas assassin. Aussi lorsqu'il est accusé de plusieurs faits de banditisme, qu'il a bel et bien accompli, il avoue tout. Tout sauf les meurtres de deux pharmaciennes à Paris en décembre 1969, cœur de ce qu'on a appelé "l'affaire Goldman".

Le film relate d'ailleurs uniquement le second procès de mai 1976 (Goldman a été condamné à la perpétuité lors du premier procès en 1974 et a déjà fait plusieurs années de prison). C'est durant ces années qu'il a écrit et publié un livre qui connut un succès non négligeable "Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France", dans lequel il tente, avant son second procès, de démonter un par un tous les arguments de l'accusation et ainsi démontrer son innocence.

Signoret et Debray, notamment, sont dans la salle. Plusieurs anciens compagnons de lutte, militants des années 60, qui avaient pris leur distance ont également renoué des liens et le soutiennent (July, Krivine...). Kiejman futur ministre de la justice est son principal avocat. En face maître Garaud valeur sûre du barreau, bien connu des milieux de l'extrême droite est aux aguets.

La retranscription du procès est impeccable. Arieh Worthaler est magistral et crève littéralement l'écran, rentrant totalement dans son rôle, montrant bien le Goldman brillant mais incontrôlable, n'écoutant même pas ses avocats, n'en faisant qu'à sa tête. Le provocateur et le combattant ne font plus qu'un lorsqu'il invective les policiers les traitant de "racistes" et "fascistes".

Le choix des scènes est astucieux. La mise en scène parfaite, certains plans de visages font magistralement ressortir les émotions, les doutes, la colère, la rage, la peur...

L'atmosphère , la grande tension du procès sont bien retranscrits, ce qui donne un rendu de grande qualité.

Notamment l'ambiance post mai 68 évidemment encore bien présente, de même que le racisme sous jacent tout au long de l'enquête et du procès (les témoins s'accordent de concert sur le fait que le suspect serait mulâtre, méditerranéen ou basané).

Le film montre aussi et surtout les lacunes et les failles de l'enquête policière avec, pour ne rien faciliter, des témoins qui se contredisent entre eux et même entre leurs propres dépositions. (citons en vrac, mais tout n'est pas évoqué dans le film, les erreurs de balistique, l'absence de reconstitution, les conditions douteuses d'identification dans les locaux de la police...).

Les témoins, remarquablement interprétés dans le film, sont d'ailleurs finalement quasiment tous, pour telle ou telle raison, très peu fiables y compris ceux en faveur de Goldman. Notamment son précieux alibi, Joël Lautric, qui lui aussi change sans cesse de version, mélangeant horaires et dates...pour finalement s'excuser piteusement devant un Goldman qui ne le regarde même pas.

Les nombreuses contradictions et zones d'ombre du procès sont remarquablement abordées et exposés ici, les jurés se trouvant dans un flou artistique et une incompréhension totale.

Car si Pierre Goldman est en effet le coupable idéal, braqueur et gauchiste (et comme l'enquête a été bâclé on ne cherche pas plus loin) et si l'alibi de Goldman est bancal il n'en demeure pas moins, malgré des présomptions de culpabilité, qu'aucun élément absolu, irréfutable montrant sa culpabilité certaine n'apparaît.

Et ainsi Goldman a beau jeu d'y voir un complot policier contre lui.

L'affaire Goldman fut une grande affaire qui attisa les passions et ce film en tire sa force.

"Le procès Goldman" est donc à voir en complément du livre cité plus haut.

Goldman sera assassiné en 1979 dans des conditions non élucidées à ce jour.

Innocent ou coupable ? Ni le film ni le livre ne permettent de trancher.

Mais Cédric Kahn le réalisateur, en cernant à merveille le personnage central et sa complexité, en montrant les zones d'ombre de l'affaire et de Pierre Goldman lui même, permet de laisser planer la part de mystère, celle entourant les plus grandes affaires judiciaires.

Un grand film, passionnant du début à la fin.

nico94
9
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le 9 oct. 2023

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nico94

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