C'est pas que j'me sente fébrile en me lançant dans une première critique de ce monstre à trois têtes, sorte de genèse du film mafieux moderne, de tragédie gréco-romaine, mais j'n'en mène pas large. Un peu comme une jouvencelle coincée dans un ascenseur, en plein mois de mai, par l'ami Rocco, la langue bleuie...


Ou plus simplement comme ce gros type presque en nage qui lors du mariage de la fille de Don Corleone répète les quelques mots d'une banalité sans nom qu'il récitera au puissant mafieux. Faut dire que le gars en impose. Marlon Brando, la bouche d'amertume et la voix éraillée rentrera dans l'histoire du 7ème art pour ce rôle. Même lorsqu'il caresse son chat, ses mains aussi tendres qu'immenses captivent le spectateur, c'est dire. En même temps, le travail de mise en scène de Francis Ford Coppola ne souffre aucune contestation possible, et la qualité de la photographie laisse difficilement imaginer que cette fresque date de 1972. Il y a une modernité formelle évidente, et pourtant pas autant que sur le fond.


Plus que respecter Don Corleone, c'est se soumettre à son pouvoir qu'il faudra pour espérer son "amitié". C'est ainsi. On le laisse parler et on l'écoute, en privé mais surtout en public, à moins de rechercher l'humiliation même en qualité de successeur désigné. Mais la famille, c'est la famille. La famille, c'est tout ce qui compte pour l'italo-américain de New-York. Le Parrain continue d'aider son filleul star de la chanson, malgré sa relative ingratitude et ses vulgaires pleurnicheries (scène de la tête de cheval mythique, lançant définitivement le film). Le Parrain fait de son avocat particulier, son consigliere (Robert Duvall), un fils adoptif afin de lui montrer toute sa confiance mais surtout de s'assurer la sienne. Aussi, Le Parrain ne cause pas business à table, ça serait manquer de respect aux autres membres de la famille. Parce que malgré le sang coulant au creux de ses mains (enfin surtout de celles de ses hommes - de main), Don Corleone a des principes. Et contrairement à ceux du syndicalisme et des maisons de jeu dont il tire les ficelles, le business de la drogue lui paraît trop immoral. Ce qui posera quelques problèmes vis-à-vis de l'une des cinq autres grandes familles de la pègre locale.


Des principes, mais surtout une brutalité dans l'exécution de ceux-ci. Quoiqu'il semblerait faire partie des plus pacifistes de ses alter-égo. Il faut dire que dans le Milieu, le traître finit toujours par être démasqué, et parfois même avant d'avoir eu le temps de trahir. Et tout le monde a de bonnes raisons de descendre tout le monde. Ceci dit, "Rien de personnel, ce sont les affaires". Chacun pour soi et Dieu pour tous. A la fin il n'en restera qu'un. Ou plutôt qu'Une - de famille. Le meilleur moyen de la protéger serait finalement qu'elle soit la dernière...


Mieux vaut cependant préparer sa succession, qui pourrait arriver plus tôt que prévu (superbe scène du jardin et du petit-fils, tellement symbolique avec sa mitraillette à eau). Et à ce petit jeu, Michael le héros de guerre (on ne présente plus Al Pacino), l'un des trois fils Corleone - se voulant pourtant plus distant que les autres avec le Milieu - finira par avoir les faveurs de son père en faisant montre d'un instinct familial et d'un esprit de vengeance supérieurs à son frère Fredo, mais surtout d'un bagou et d'une "sagesse" supérieurs à Santino (James Caan). Mais la machine l'attirera finalement comme les autres - et peut-être même beaucoup plus au vu du sort réservé à son beau-frère et aux autres - dans les profondeurs inhumaines du pouvoir et du devoir, à l'image de ce magnifique dernier plan où sa femme se retrouvera totalement mise à l'écart. Un peu comme celle de Don Corleone que l'on aura quasiment pas vue du film, à part pour pousser la chansonnette au cours du mariage....


Mais là où Le Parrain se démarque toujours plus, c'est en sous-entendant que, finalement, le véritable pouvoir serait celui des politiciens - le but ultime du père étant de devenir sénateur ou gouverneur. Les politiciens tirent les ficelles sans se salir les mains, contrairement aux mafieux et au flics se livrant une guerre que ces élus ne sembleraient pas trop intéressés de voir gagnée par un camp ou l'autre... La corruption à tous les niveaux du pouvoir, c'est ça l'Amérique de Coppola.


A noter également les passages en Sicile et à Las Vegas, dépaysant pour l'un et contrastant pour l'autre (on passe d'un New-York aux costards noirs et blancs à ceux flashy et kitsch de l'enfer du jeu), très utiles à la compréhension du fonctionnement de la pègre, mais aidant aussi à donner plus de rythme à ce premier chef-d'oeuvre d'une grande modernité, et dont les presque trois heures passent comme dans de la gomina...

RimbaudWarrior
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de gangsters, Les meilleurs films des années 1970, Le Top 111 Films à bibi et Les meilleurs films de Francis Ford Coppola

Créée

le 17 juil. 2016

Critique lue 521 fois

19 j'aime

8 commentaires

RimbaudWarrior

Écrit par

Critique lue 521 fois

19
8

D'autres avis sur Le Parrain

Le Parrain
Sergent_Pepper
10

Or, noir et sang

Qu’est-ce qui fait d’un film un très grand film ? Comment expliquer que s’impose à vous dès le premier plan-séquence, qui part du visage de l’interlocuteur pour très lentement révéler le Parrain,...

le 25 nov. 2013

346 j'aime

24

Le Parrain
Vincent-Ruozzi
10

Un monument du cinéma

Au commencement était le livre. Un livre de Mario Puzo qui devint rapidement un best-seller dès sa sortie. De ce livre, Puzo et Coppola en feront en scénario. Ne trouvant personne pour réaliser le...

le 11 juin 2014

121 j'aime

11

Le Parrain
Docteur_Jivago
10

L'opéra sanglant

Et si The Godfather était la synthèse parfaite entre le film d'auteur et la grosse production ? Avec cette oeuvre de commande adaptée du roman de Mario Puzo, l'enfant du Nouvel Hollywood, tout juste...

le 15 mai 2016

115 j'aime

13

Du même critique

Le Juge et l'Assassin
RimbaudWarrior
8

Prières et le loup

Plutôt que de nous obliger à nous taper une énième rediffusion du Gendarme-et-de-je-sais-pas-qui sur M6 pour rendre hommage à Michel Galabru, Arte a eu le bon goût de rediffuser le grand drame qui le...

le 7 janv. 2016

54 j'aime

12

Buffet froid
RimbaudWarrior
9

Le poltron, le fruste et le fainéant

Bertrand Blier aurait, paraît-il, assez rapidement écrit le scénario de Buffet Froid en partant de l'un de ses rêves récurrents qu'il prête ici à son personnage principal qu'incarne Gérard...

le 14 juil. 2016

41 j'aime

14

Martyrs
RimbaudWarrior
9

Laissons Lucie faire

J'avais complètement zappé la polémique quant à son interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie, alors quand je me suis installé devant une diffusion de Martyrs sur Canal, je ne vous explique pas la...

le 13 mars 2016

39 j'aime

7