Le parcours rocailleux de la passion

Le choix d'un biopic sur deux ingénieurs et anciens pilotes de leur contribution victorieuse lors des 24 heures du Mans de 66 a de quoi laisser songeur... Surtout quand on apprend que le projet traîne dans les tiroirs de la Fox depuis plusieurs années et que le traitement de ce genre de biopic voire des biopics tout court peut être casse gueule (coucou Bohemian Rhapsody...).


Fort heureusement, on peut compter sur James Mangold pour mener ce film jusqu'à la ligne d'arrivée sans sortir de la route ni exploser en cours de trajet.


Certains comme moi ont connu ce réalisateur grâce à son traitement prenant sur le film Logan... mais les plus anciens le connaissent certainement pour son travail d'artisan habile sur Copland, Walk the Line et 3h17 pour Yuma. Et ces derniers, qui ont pu pour la plupart assister à la récente avant première, pourront confirmer ce que je vais expliquer : que Ford VS Ferrari est une réussite plus habile qu'elle n'en a l'air.


(Bon, par contre, ''le Mans 66''... C'était pas une mauvaise idée de titre VF mais il y a plus malin comme approche. Quoique, le titre VO peut être aussi questionable... Mais je m'égare).


L'histoire se déroule au début des années 60 ; Carrol Shelby (Matt Damon), est un pilote américain de renom pour avoir gagné en 1959 les 24 heures du Mans (soit l'une des courses automobiles des plus éprouvantes du monde ; histoire de donner une idée de l'exploit pour les néophytes). Seulement, sa victoire et son passif de pilote ont aggravé sa santé physique et l'ont contraint à raccrocher la combi de pilote. Devenu concessionnaire privé, il participe à la vente de véhicules et aide ses associés pour leurs courses d'auto dont le mécanicien-pilote-ex aviateur de guerre Ken Milles (Christian Bale).
Et au sujet de la vente, l'entreprise Ford, fabricant de voitures célèbre aux Etats Unis, est à cette période de l'histoire dans la panade : leur vente de véhicules ne leur permet plus d'éviter un dépôt de bilan, leur capacité d'adaptation au marché est devenu inadéquat... Seule une voie peut subsister pour sauver leurs affaires : la course automobile, dominé par la légendaire écurie de Enzo Ferrari. Shelby, sous la demande de Ford et leur représentant en marketing (Jon Bernthal), doit donc fabriquer le véhicule idéal pour permettre à Ford de tenir tête à son rival Ferrari sur leur terrain de prédilection : les 24 heures du Mans (d'où les deux titres du film).


C'est d'ailleurs l'un des atouts principaux de ce film : son trio d'acteurs principaux qui incarnent chacun un rôle à quasi contre-emploi de leurs précédentes performances. Que ce soit :



  • Matt Damon, habitué aux situations de se faire aider par les autres voire à agir de manière irresponsable envers les autres (à tout hasard, Interstellar et Il faut sauver le soldat Ryan) (à quelques exceptions comme Nouveau Départ), menant ici un projet qu'il a initié pour aider les autres ;

  • Christian Bale souvent habitué aux rôles solitaires et légèrement égocentriques, comme Vice ou la trilogie Dark Knight, qui doit cette fois pleinement collaborer avec son équipe et contenir ses émotions (même si ça ne l'empêche d'avoir un ou deux excès).

  • ou encore Jon Bernthal, connaisseur des rôles de personnages au caractère brutal ou déluré (comme The Punisher mais aussi Mr Wolff, le Loup de Wall Street...) (son exception à la règle étant the Ghost Writer) qui joue ici un responsable marketing cherchant le compromis entre Ford, Shelby et Ferrari sans recourir une seule fois à la violence ou la colère.


Au sujet des acteurs, mention spéciale à Caitriona Balfe jouant l'épouse de Miles ; elle donne une version très sympathique de la femme soutenant son mari mais possédant également un certain caractère.


A ce sujet, ne la laissez jamais conduire un véhicule en cas de discorde ; elle saura vous faire comprendre qu'il faut pas l'énerver. Miles en a bien fait les frais et a frôlé l'accident... ^^'


Comme dit précédemment, Mangold va se servir du concept d'une certaine manière ; non pas pour narrer l'histoire d'ingénieurs dans leur quête de reconnaissance ou la focalisation de Ford sur son image et de leurs contraintes imposées... Du moins, pas que. Car derrière ce récit semble se cacher un autre sous-texte : celui du conflit entre des créatifs indépendants en collaboration à une entreprise puissante obnubilé par son image et le risque d'une perte financière.


Et cela, Mangold ne connait que trop bien cette situation : ayant subi bon nombre de contraintes lors de la production du Combat de l'Immortel (pour rappel, le second film solo sur Wolverine) (ce qui peut expliquer en partie sa faible qualité), il a du batailler avec les producteurs de la Fox pour obtenir la liberté artistique nécessaire pour faire Logan comme il le souhaitait ainsi que le Rated R ; une liberté obtenue grâce, en partie, au succès précédent de Deadpool.


Variable qui trouve son écho dans le film lui-même : pour réussir à pleinement convaincre le PDG de Ford de laisser Shelby agir comme bon lui semblait sur le véhicule pour le Mans, Miles doit remporter la course de Daytona pour concrétiser l'accord ; circuit réputé pour sa dangerosité mais que Miles réussit à gagner grâce à la ruse et ses compétences hors des normes d'un pilote.


Un constat d'autant plus ironique et amer quand on connait le contexte artistique actuel de bon nombre de studios d'Hollywood et surtout de la Fox ; il ne faut pas oublier que, avant la période du rachat par Disney, le studio possédait déja une belle collection de casseroles dans le domaine (que ce soit la perturbation du reboot des 4 Fantastiques, les multiples cas de reports ou réarrangements pour la franchise X-men, le cas Dragon Ball Evolution, la Ligue des Gentlemen Extraodinaires... la liste est longue. Très longue.)


Cela dit, en lumière de ces éléments (et surtout, après discussion autour du film avec un éclaireur qui se reconnaîtra) (donc avant d'entamer l'écriture de cette critique), ce n'est pas ce sujet qui m'intéresse le plus et me fasse réfléchir... Ce qui fait carburer ma cervelle, c'est la façon d'agir des deux groupes, Ford mais surtout l'équipe de Shelby et Miles.


Car si le premier a tendance à interférer dans les choix de la conception du véhicule quitte à appliquer des choix égoïstes,


notamment avec le personnage du vice président, un homme d'affaires très soucieux de son image et n'hésitant pas à contredire les décisions surtout si cela concerne Miles ; une insistance qui trouve sa source dans la première rencontre mitigé entre ces deux derniers et le fils du pilote qui manque d’abîmer la voiture d'exposition lors du discours de Shelby


le second n'hésite pas à user de ruses pour forcer la décision de Ford lors de la construction du véhicule voire de manœuvres directes envers leurs adversaires.


Les multiples ruses de Miles pour se débarrasser de ses adversaires, la tentative de Shelby de convaincre le PDG en enfermant le vice président entre quatre murs, le vol des chronomètres de Ferrari en pleine course pour les perturber ou le ''coup du boulon manquant''.


C'en est à un point où on finit par se poser cette question : à quel degré de contrôle un créatif (réalisateur, ingénieur, artiste ou autre) doit il faire face OU doit il faire appel pour mener à bien son projet sans être contraint par un producteur ou un investisseur ? Jusqu'à quel prix ? Et surtout, à quelle finalité ? Le genre de question qui mériterait un débat construit pour pouvoir être résolu...


Si Mangold ne possède peut-être pas la réponse à cela, il en donne un élément de réponse dans un final des plus prenants :


Après les multiples problèmes de course du Mans, l'équipe de Ford-Shelby remporte la course avec une arrivée à l'impact médiatique fort (les trois Ford GT traversant de manière alignée l'arrivée). Mais ce qui aurait du être le début de la reconnaissance publique pour Miles et Shelby est finalement attribué à Ford et ses hommes d'affaires qui en tirent les bénéfices. Que cela ne tienne, les deux larrons se contentent volontiers de la reconnaissance personnelle.


Cela dit, les deux connaîtront un destin funeste : Miles finira mort brûlé lors de l'essai d'un nouveau véhicule quelques mois plus tard et Shelby devra continuer au sein de sa compagnie seul en vivant avec le fait que son ami, malgré les différents qu'ils ont connu, a sacrifié sa vie pour son projet auquel il a encouragé à participer malgré la volonté partagé de Miles de raccrocher et ses dettes.


D'ailleurs, il est dommage que les scénaristes n'aient pas plus exploité le développement autour des problèmes cardiaques de Shelby et de sa crainte vis à vis de son image et de son retrait des circuits... Mais bon, vu le traitement du film, ce n'est pas si grave. Et ca me fait au moins un problème à reprocher en dehors de son titre.


Au final, le Mans 66 est une réussite assez surprenante ; James Mangold réussit avec une base simple en apparence à en tirer un film prenant, attachant et intéressant à plus d'un égard (que ce soit en tant que sujet d'étude ou d'oeuvre cinématographique). Quand j'aurai le temps, il me faudra explorer sa filmographie qui m’intéresse de plus en plus. En tout cas, pour la suite de ses projets (et ses précédents), je l'attends... au tournant ! ;)

Jadenterre
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le 13 nov. 2019

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