Plus qu'une voiture, plus qu'une course, plus qu'un biopic : une passion.

Il y a deux ans de cela, James Mangold faisait carton plein avec le phénomène super-héroïque de 2017 que l’on n’attendait pas autant après ses deux premiers spin-off : Logan, un film X-Men sur un Wolverine en fin de vie en plus d’être un film d’adieu bouleversant sur l’un des personnages les plus aimés des comics. J’étais ressorti vanné des deux premiers spin-off : un franchement mauvais et le second regardable mais sans avoir une source de motivation pour une suite, d’autant que je n’avais pas vu grand-chose de Mangold à ce moment là.


Et très étrangement même après avoir rattrapé la presque entièreté de ses films (je recommande surtout Walk The Line et Une Vie Volée), j’étais à peu près dans le même cas de figure avec Ford VS Ferrari (bêtement traduit en Le Mans 66 en VF, même si on a vu pire). La course automobile me passionne autant que la recette de grand-mère pour sa tourte à la volaille, la biopic a déjà été abordée précédemment dans sa filmographie et je sais que jusqu’à présent je n’ai pas souvent été emballé par les films ayant pour cadre ce sport (Rush et Jour de Tonnerre qui ont des traitements différents dans les deux cas) surtout quand on voit à quel point les enjeux écologiques ont une importance primordiale.


Cependant, à l’inverse des deux commandes que j’ai cité, Ford VS Ferrari est surtout un moyen pour James Mangold de brasser très large dans les sous-textes qu’il veut mettre en valeur. Puisque si la finalité est bel et bien la victoire contre Ferrari aux 24 heures du Mans de 1966, près d’une heure et demi de film sont dédiés à la préparation du bolide de Ford, aux tests sur le terrain pour améliorer ce qui peut être amélioré sur la voiture de course et aux décisions en internes de la part des industriels et actionnaires de Ford.


Là ou le film se distingue avec ingéniosité et malicieusement, c’est justement dans cette confrontation entre ces industriels aussi soucieux de leur victoire contre Ferrari qu’ils sont orgueilleux au point de vouloir soigner leur image et de faire de fâcheux croche-patte à l’équipe chargée de préparer le bolide. A savoir Caroll Shelby le constructeur ayant déjà l’expérience des 24 heures du Mans, à la tête d’un groupe d’artisans de l’automobile particulièrement investi dans le projet. Et surtout Ken Miles le pilote au tempérament bouillonnant, passionné et fougueux que la compagnie automobile ne peut pas contrôler en plein action ni tempérer et qu’elle cherchera à mettre à l’écart dés que l’occasion se présentera pour rester maîtresse de cette ambitieuse entreprise.


Par conséquent, l’enjeu pour Shelby et Miles n’est plus seulement de construire la voiture la plus rapide de l’époque pour vaincre une compagnie concurrente lors d’un événement annuel dans le milieu de la course automobile, mais de garder le contrôle sur ce qui devient à leur yeux un projet personnel qui leur tient autant à cœur l’un que l’autre. Chacun ayant une passion personnelle très bien décrite par la caméra de Mangold et l’écriture pour la course de voiture, notamment Miles qui transmet cette passion à son propre fils Kevin Miles, et qui semble faire suite à la relation paternel spirituel établi entre Logan et X-23 dans Logan : à la différence qu’ici ça n’est pas dans la violence et leur pouvoir qu’ils sont liés, mais par leur amour pour un "sport" et ce qu’ils représentent pour eux. Une notion que ne comprennent visiblement pas les industriels de haut rang ne voyant en cette course qu’un moyen de bomber le torse fièrement.


On pourrait également évoquer la mise en parallèle de l’après-guerre pour Miles et Shelby puisqu’il en est fait mention à certaines occasions, comme lors d’un (beau) dialogue entre Shelby et Henry Ford II après l’échec d’une course ou la mention de la participation de Shelby et Miles à la fin de la seconde guerre Mondiale. Mais là ou ce film m’a véritablement surpris, c’est dans sa métaphore cinématographique vis-à-vis de cette à la victoire du Mans. Car si on retire le contexte automobile et qu’on le remplace par le contexte de la production d’un film à l’époque actuelle : James Mangold donne un tout autre sens à sa biopic qui justifie certaines libertés d’écriture et son approche.


Les industriels de Ford peuvent être vus comme les producteurs et la ponte des studios de cinéma qui souhaitent formater un projet à leur image et au politiquement correct (Miles posant problème de ce côté-là au vu de son caractère et de son langage) sans se soucier des détails autour de ce projet (la voiture et la conduite pouvant être remplacées par un film et son squelette scénaristique). Tandis que Shelby est l’équivalent d’un réalisateur et Ken Miles la star qu’il souhaite mettre sur le devant de la scène au grand dam de ses patrons. Une mise en abîme loin d’être négligeable et largement bienvenue quand on sait que dernièrement les projets qui se retrouvent entre les mains de réalisateurs de commandes ou qui n’ont pas assez d’influence pour s’imposer malgré leur potentiel durant cette ère post 2000 et 2010 sont souvent réduit à ce cas de figure (le cas Gareth Edwards sur Rogue One qui a vu une partie de son film retourné par exemple, Josh Trank dépossédé de son reboot des 4 fantastiques, John McTiernan qui a vu son Rollerball charcuté par la production ou encore les films Marvel souvent confiés à des yes-man qui n’ont pas souvent beaucoup à faire valoir au final). Un passage par lequel James Mangold est lui-même passé avec la saga de spin-off via Le Combat de l’Immortel avant qu’il ne se rattrape largement avec Logan.


L’intention est des plus honorables et la seconde lecture évidente, ça n’en est que mieux quand on constate de nouveau une bonne chose : James Mangold sait filmer et surtout il sait étonner quand il le souhaite et qu’il s’impose. S’il assure bien souvent l’immersion lors des tests en bagnole et durant les courses montrées à l’écran, il se montre également en termes de montage, de découpage et surtout pour filmer l’intime sans se perdre dans des effets de style lourdaud. Cela se voit rien qu’avec la chimie partagée entre Miles (joué par un Christian Bale aussi bon acteur que pour changer de corpulence) et sa famille, son fils le premier avec qui le partage de sa passion pour la course automobile transpire à chaque instant que ça soit lors de leurs discussions ou lorsque Kevin assiste à ces courses ou tests.


Idem pour Matt Damon qui est pris pour un rôle à contre-emploi puisqu’à l’inverse de la plupart de ses performances ou il était soit le centre d’intention soit le héros d’action, il opère ici dans un rôle d’arrière garde dans lequel il se montre très à l’aise. Dans le même style on peut aussi citer Jon Bernthal qui est habituellement habitué aux rôles de bourrin sombre et ténébreux comme le Punisher dans la série Netflix, mais joue ici un homme d’affaire à la solde de Fort Motor Company.


Mais ce qui fait que Ford VS Ferrari a un propos aussi bien exécuté à mon avis, c’est justement son absence de naïveté de sa part et son sens de l’équilibrisme dans cette lutte entre artisans et industriels qui, finalement, cherchent à atteindre un même but : marquer l’histoire. Que ça soit en assurant fièrement l’héritage de son père pour Henry Ford II, en réitérant un exploit précédemment accomplie pour Shelby ou encore simplement en laissant son empreinte dans sa carrière pour Ken Miles lors de cette grande course vendu tout au long de ces 1h30 de film.


Et Dieu que l’attente valait le coup puisque cette dernière demi-heure est d’une intensité étonnante dans lequel Mangold reprend et fait cohabiter tous les enjeux précédemment cités : la force du montage, les angles et le positionnement de la caméra toujours proche de ses pilotes et des équipes, les panoramiques courts mais millimétrés lors des virages, les décisions des industriels Ford imposés en cours de route et l’adaptation nécessaire aux aléas imposés par le véhicule de Ford, l’intensité et l’exaltation de cette demi-heure sont aussi surprenante que transporteuse au vu de l’étonnante cohabitation entre tout ces éléments.


Le film s’achevant sur une note fortement douce/amère dans ses dix dernières minutes avec le titre de champion finalement remis à un autre pilote de Ford, Ken Miles acceptant néanmoins cette situation puisqu’il a pu accomplir son but durant ces 24 heures du Mans mais perdant la vie un an plus tard en se préparant pour un autre 24 heures du Mans, laissant Shelby à ses regrets et l’amertume après une victoire finalement peu ragoûtant à la vue de tout les efforts que lui et son équipe ont fournis sur 3 mois.


Deuxième fois d’affilée que James Mangold réussit à autant me surprendre, Ford Vs Ferrari est aussi immersive qu’il est ingénieux dans la manière avec laquelle il a été pensé, et dans ce qu’il a à présenter. Et en attendant d’avoir des frissons de froid et d’émotion avec La Reine des Neiges 2, de découvrir l’enquête sur l’affaire Dreyfus avec J’accuse de Roman Polanski ainsi que le film d’enquête A couteaux tirés au cinéma, Ford VS Ferrari m’a exalté et emporté dans son tourbillon mécanique en proposant bien plus que ce que j’étais venu chercher. Le genre de surprise pour lequel je suis toujours partant et que je conseil fortement !

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le 9 nov. 2019

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