Alors qu'il voulait adapter "L'ange bleu" (finalement réalisé par Josef Von Sternberg), Georg W. Pabst s'attaque finalement au roman "Le Journal d'une fille perdue" de Margarete Böhme. Il nous fait suivre le destin de Thymiane, fille d'un pharmacien qui va peu à peu se retrouver rejetée par sa famille et ses proches après un acte horrible qu'elle aura subi.

Peu de temps après le sulfureux chef d'oeuvre "Loulou", Pabst retrouve Louise Brooks et lui fait vivre une descente aux enfers où elle passera par divers sentiments, de l'horreur à l'espoir en passant par la rédemption. Le réalisateur allemand met en scène une galerie de personnages hauts en couleurs mais reste constamment braqué sur Thymiane, belle et innocente jeune fille que l'on découvre en pleine communion toute de blanche vêtue et qui va peu à peu subir les événements et découvrir la vie et le passage à l'âge adule.

Tableau d'une bourgeoisie qu'il ne manque pas de critiquer notamment pour son immoralité et hypocrisie, "Le journal d'une fille perdue" met en avant cette descente aux enfers dans un monde violent où s’enchaînent drame, cruauté, simple moment de vie et même humour, le tout parfaitement maîtrisé par Pabst. L'image de Thymiane et des autres filles perdues dans le centre de redressements sont saisissantes et finalement symbolisent la sincérité et le réconfort qu'elle peut trouver après avoir découvert la violence de ce monde et des institutions.

Pabst parvient à faire ressortir toute l'émotion, la puissance dramatique, le pathétique et la cruauté de son récit. À l'image de son héroïne, il fait passer le spectateur par divers sentiments allant du dégoût pour certains personnages à l'attachement pour celui de Thymiane. Le récit est assez riche et il n'hésite pas à user de divers ellipses toutes bien maîtrisées. L'ensemble est bien rythmé sans être dans l'excès, Pabst maîtrise bien son récit et les différents enjeux.

Maîtrisant à merveille les artifices du muet, il fait ressortir toute la puissance des images où un simple regard en dit bien plus que n'importe quel mot... et quel regard ! Louise Brooks est à nouveau sublimée par la caméra de Pabst, où son regard, sa plastique et sa présence font ressortir toute l'émotion de son personnage. Elle-même fille perdue, elle symbolisait à la fois l'angélisme et la perversité comme le montrent ce film et "Loulou", mais finira assez vite lâchée par Hollywood, n'hésitant pas à la mettre sur liste noire et à propager la rumeur comme quoi elle n'était pas faite pour le parlant. Accompagnée de quelques belles notes de piano, la photographie est très bien utilisée par Pabst, jouant avec le contraste du noir et blanc, symbolisant notamment la pureté et l'innocence pour le blanc.

Censuré à son époque pour avoir abordé avec franchise et sans compromis le vice, la sexualité et la bourgeoisie, "Le Journal d'une fille perdue" reste un témoignage fort et puissant du talent de Pabst et Louise Brooks dont un simple regard en disant bien plus que n'importe quel mot...
Docteur_Jivago
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le 21 janv. 2015

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Docteur_Jivago

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