Incontestablement, au fil des années, Mizoguchi s'est distingué dans la description de drames intimistes mettant souvent en jeu le destin de femmes aux prises avec une société profondément machiste. Toutefois pour son second film en couleurs, le maître nippon prend tout le monde à contre-pied en s'aventurant dans les méandres du film politico-historique, s'inspirant au passage du Heike monogatari qui conte la lutte des clans au XIIe siècle et qui verra notamment la création du premier gouvernement contrôlé par les samouraïs. Il est vrai, qu'on s'éloigne de son champ de prédilection et pourtant en s'attaquant à cette période trouble de l'histoire de son pays, il va pouvoir parler en filigrane du Japon des années 50 grâce à des thèmes forts d'enjeux généraux (politiques, sociétaux) et individuel (la filiation, l'amour ou la liberté). Le programme est fort alléchant et on mesure bien les ambitions du projet : une grande fresque, de grands thèmes, de grands décors, un réalisateur prestigieux, de nombreux figurants... Pourtant le film n'a pas l'ampleur escomptée : On sent rapidement que notre Mizoguchi n'est pas très à l'aise avec cette grande fresque, comme si son style était entravé par la lourdeur du projet, les thèmes se succèdent parfois maladroitement, certaines scènes semblent rapidement expédiées... Mais comme il suffit de chasser le naturel pour qu'il revienne au galop, Mizoguchi arrive à donner à son film une certaine dimension intimiste dans laquelle il retrouve ses thèmes de prédilection en parlant d'un homme qui cherche à exister au sein d'une société qui fera tout pour le rejeter.


L'intrigue se déroule au XIIe siècle, période durant laquelle la société est en pleine déchéance, corruption et luttes intestines entre les différentes castes gangrènent le pays ; le pouvoir politique semble être confisqué par les moines tandis que les nobles vivent reclus, plus préoccupés par leur confort personnel que par le sort de la population. Au milieu de ce chaos se trouve un ordre nouvellement établi, formé de combattants émérites mais méprisés et asservis par le pouvoir en place, je parle bien sûr de celui des samouraïs. Ces derniers sont représentés proche du peuple et de ses préoccupations, ils sont les défenseurs de leur bien ou de leur territoire mais surtout ils défendent des valeurs communes à tous contrairement à une élite enfermée dans son palais, coupée de la réalité du pays.


Mizoguchi décortique bien les rouages de la politique japonaise et met surtout bien en avant les agissements qui s'opèrent en coulisses entre les alliances opportunistes ou les complots en tous genres. Il s'intéresse surtout à l'émergence de cette caste de guerriers qui va s'opposer à une cour et un clergé corrompus par le pouvoir. Le parallèle apparaît évidant avec le Japon des années 50 qui doit oublier ceux qui l'on conduit à sa perte. Tout cela est proprement mis en forme mais ça manque un peu de passion, Mizoguchi tente de la trouver en s'intéressant au destin du jeune Kiyomori qui cherche la reconnaissance en tant que samouraï mais surtout cherche à s'affirmer en tant homme, lui le bâtard qui ne connaît pas ses origines. On suit ainsi le cheminement personnel de ce garçon qui tente de se projeter vers le futur, poursuivre une relation amoureuse tout en combattant les fantômes de son passé.


Même si Mizoguchi met beaucoup de soin à détailler le destin de Kiyomori notamment en explorant les liens avec sa famille ou sa relation amoureuse, il faut bien avouer que ce drame intime est quelque peu occulté par le drame historique comme si la petite histoire avait du mal à exister aux côtés de la grande. Alors si Le Héros sacrilège est un film tout à fait passionnant à suivre pour sa reconstitution historique et notamment politique, il reste en deçà des plus grandes œuvres du maître, plus intimistes et plus riches en émotions. Heureusement, il rectifiera le tir avec son dernier film, La rue de la honte, qui sera un retour aux fondamentaux.


Créée

le 30 mars 2023

Critique lue 37 fois

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Procol Harum

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