Comment raconter le destin de ces héros enthousiastes et passionnants qui explosent en plein vol après avoir trop flirté avec l’illégalité ?
Le modèle scorsesien de Goodfellas et de Casino, réactualisé par Le Loup de Wall Street, est si hégémonique que j’ai apprécié le courage d’Aaron Sorkin qui tente de s’en affranchir.
Il ne s’agit pas ici du récit linéaire de l’ascension frénétique de son héros, puis de sa stagnation et de la multiplication de ses emmerdes avant sa chute minable : le récit de Sorkin se veut plus virtuose, mais tombe finalement à plat.
• Virtuose, car Aaron Sorkin a la science du storytelling.
La gestion du rythme du récit dans les deux premiers tiers du film est efficace : l’accélération est quasi permanente, et la tension est bien tenue.
La narration est elle aussi efficace. Celle-ci fonctionne par allers et retours entre différentes temporalités, effets d’annonce et divers set up / pay off astucieusement disposés. Certes, il y a parfois mécanisation des différents effets, mais l’efficacité du résultat l’emporte.
La voix-off permet de lier ces, d’attirer l’attention du spectateur sur un élément, de lui faciliter la compréhension de l’histoire. Parfois trop présente lorsqu’elle décrit simplement l’action à l’écran, elle est amusante quand elle pousse trop loin cette description (ex : « et là, il m’a demandé de lui donner un Bagel : « et toi ! donne moi un Bagel » »).
Evidemment, il y a beaucoup de « dialogues mitraillette », marque de fabrique de Sorkin. Ce type de dialogues me fatigue un peu, mais ils rendent plus appréciables les moments de calme, (comme par exemple la façon de parler lente du personnage dont « chaque accroche pourrait être un titre de roman policier »).
Cependant, cette maîtrise de la direction du spectateur + la vitesse d’exécution sentent parfois le passage en force : on ne peut pas interroger pas la cohérence d’une idée si on ne nous laisse pas pas le temps de la comprendre.
• Mais tombe à plat, car le film n’a finalement pas grand-chose à dire.
Le dernier tiers du film (ATTENTION AUX SPOILS, forcément), moment de résolution de tous les problèmes de l’héroïne, gâche le film : tout est très plat, convenu, linéaire.
Alors même que l’idée de la rencontre « fortuite » avec son père est belle, la consultation psy express réduit singulièrement les enjeux du film et la richesse du personnage
(« tu as tous ces problèmes ma fille, parce que tu as un problème avec les hommes et parce que j’ai été un mauvais père snif »)
.
A propos d’enjeux, ceux-ci ne sont pas très intéressants et n’évoluent pas. La dernière scène dans le cabinet d’avocat est la même que la première : Molly refuse inébranlablement de « balancer » ses clients. On ne comprend pas très bien pourquoi, mais son honneur est sauf, apparemment.
Enfin, la facilité scénaristique du retournement final du juge m’a consterné (il se montre clément avec Molly parce qu’« après tout les vrais méchants sont à Wall Street » : c’est vrai et c’est drôle, mais c'est un deus ex machina insensé et très populiste)
Son ludisme gratuit est finalement là où le film trouve sa plus grande limite.
Un exemple : l’utilisation de la poitrine de Jessica Chastain au cours du film.
Car de ses seins, il en est beaucoup question, et la caméra se contorsionne pour les intégrer au cadre : la figuration de la poitrine du personnage peut traduire les différentes étapes de la trajectoire du personnage, servir de baromètre de l’humeur de Molly…
Mais surtout, le film obéit à des logiques d’érotisation de l’actrice (dont le talent est sous exploité !), pour financer le film, pour attirer le mâle dans la salle obscure… c’est tout de même un peu beauf.
N’aurait-il pas mieux fallu creuser ce personnage, complexifier sa personnalité, ses enjeux, ses motivations ? Agiter une poitrine sous les yeux des spectateurs pour lui faire oublier qu’un personnage est mal construit, c’est un peu bas.
(Surtout que le charme de Jessica Chastain réside beaucoup plus dans sa moue mélancolique que dans sa poitrine)