Avec Dai Satsujin, second opus de la Samurai Revolution Trilogy, Eiichi Kudô passe un cap à tout point de vue. Si l'intrigue semble être dans la continuité de Jûsan-nin no shikaku, avec un groupe de samouraïs qui s'oppose violemment à un pouvoir tyrannique, le cinéaste va, cette fois-ci, aller au bout de sa logique et de sa réflexion tant sur le plan formel que thématique. Sa volonté de faire un chanbara réaliste prend ici tout son sens avec une mise en scène qui adopte à plusieurs reprises les contours du film documentaire : immersion au sein d'un groupe ou d'une bataille, caméra à l'épaule... Mais l'élément le plus significatif demeurant sans doute la dimension prise par la notion de sacrifice : dans le premier opus, Kudô avait placé son regard sur le plan individuel avec cette bande de samouraïs qui devait faire leur devoir jusqu'au bout, dans ce film on passe à une dimension supérieure, le sacrifice concerne cette fois-ci tout un peuple, une population dans son ensemble qui doit prendre conscience de l'effort à consentir pour lutter contre l'oppression de plus en plus féroce et inhumaine. En résulte alors un chanbara partisan, certes inégal, mais dont la rage et la sincérité ne peuvent laisser indifférent.
La volonté de faire écho aux violentes émeutes qui secouèrent le pays à cette époque est tout à fait évidente de la part de Kudô mais son film est suffisamment bien réalisé pour prendre une dimension universelle en nous montrant le combat de l'ensemble d'une population contre un pouvoir oppressif. Ainsi, derrière ses allures de simple chanbara, Dai Satsujin se veut être un vibrant plaidoyer pour l'engagement politique de tout citoyen, quel que soit son statut social ou son éducation. Chaque personne peut, avec ses moyens, mettre à contribution son savoir-faire ou son énergie pour faire changer les choses dans le pays : contrairement à Jûsan-nin no shikaku , le sacrifice individuel se fait bien dans un but collectif.
Cette démarche, on la retrouve à travers le destin des principaux personnages : Jinbo, que le pouvoir répressif a rendu veuf, décide de mettre sa rage au service d'une cause qui dépasse son simple cas personnel. Mais surtout, de par son attitude militante et non résignée, il s'oppose à son ami, désigné comme oisif et passif. À travers cela, Kudô fait passer un message clairement militant à l'attention de la population : il vaut mieux agir, au risque de mourir, que de vivre résigner. La notion de sacrifice va prendre tout son sens avec, notamment, le personnage de Miya qui va aller jusqu'à offrir son corps pour mener à bien sa mission.
Pour appuyer son propos et renforcer sa démonstration, Kudô se veut être le plus réaliste possible : avec Dai Satsujin, on délaisse toute notion de spectaculaire pour s'immerger avec plus d'aisance dans le quotidien de ces simples gens qui sont obligés de vivre dans le plus grand secret, allant de cachette en cachette avant de pouvoir agir au grand jour. Mais c'est dans son final que le réalisme se fait le plus cru et le plus rude: le combat entre rebelles et représentant du pouvoir est rendu dans toute sa cruauté et sa pénibilité par une caméra mobile qui suit les affrontements désordonnés aussi bien dans les rues boueuses de la ville que dans les eaux troubles de la rivière. Un chaos très bien représenté à l'écran mais qui aurait été plus efficace et évidemment plus prenant avec quelques minutes de moins. Mais, malgré ces longueurs, Kudô réalise ici un chanbara fort singulier ; sans doute le meilleur opus de sa fameuse trilogie.