Le Garçon et le Héron
6.9
Le Garçon et le Héron

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2023)

Personne ne sait si Le Garçon et le héron sera vraiment le dernier film de Miyazaki - Ghibli a annoncé que non mais vu l’âge et le rythme de production du Maître, j’ai quand même un doute. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il est entré dans la phase finale de sa filmographie, où chaque œuvre devient une réflexion sur tout ce qui l’a précédée. Le vent se lève était déjà testamentaire par son traitement et son propos très mélancolique. Mais ici, le réalisateur pousse l’idée encore plus loin et fait carrément de son 12 long-métrage un film-somme qui va faire des références plus ou moins explicites à toute sa filmographie.


Outre les petits clins-d’oeil (on reconnaîtra le kiosque de Porco Rosso, la silhouette émergeant des flammes qui rappelle Calcifer ou les simili-Sylvains de Mononoke), le récit semble clairement calqué sur trois des films précédents du maître. Le ton introspectif et les références au Japon de la Seconde Guerre Mondiale rappelleront Le Vent se lève, l’évocation tranquille du quotidien rural du héros, peu à peu pénétré par le fantastique a quelque chose de très Totoro tandis que la présence d’un basculement vers un autre monde le fait marcher dans les traces de Chihiro. Pour autant, ces effets de rime et de miroir ne témoignent pas vraiment à mon sens d’un manque d’inspiration puisqu’ils permettent au cinéaste d’aborder de nouvelles pistes thématiques dans une démarche plus auto-réflexive que jamais.


Le Garçon et le héron semble être ce que Miyazaki a fait de plus essentiel. C’est la forme pure de son cinéma, sans aucun effort pour essayer d’immerger le spectateur non-initié ou peu réceptif à son approche. Ainsi, Mahito est probablement le protagoniste le plus mutique et inexpressif de l’écurie Ghibli. Malgré l’ouverture saisissante du film, on a parfois de la peine à se connecter émotionnellement au personnage dont les émotions restent la plupart du temps enfouies. Il faudra se raccrocher à quelques moments-clés de jaillissement : des larmes après un rêve évoquant sa mère disparue, ou bien un premier sourire esquissé, salvateur. ll y a derrière ce faciès froid et indifférent un personnage déchirant dans son incapacité à surmonter son deuil et à ressentir la moindre marque d’amour.


Comme souvent chez Miyazaki, le personnage enfantin s’ouvre peu à peu au monde mais ici ce processus est plus progressif que jamais, sans être marqué par de grands moments narratifs. De même que l’évolution des relations entre le personnage principal et d’autres intervenants comme le fameux héron se fait organiquement, sans forcément être soulignée par des dialogues, si bien que des moments censés être de grandes révélations sont balancés sans emphase, car finalement le spectateur avait déjà tout compris depuis bien longtemps. C’est sans doute ça qui me touche à ce point chez le cinéaste : son sens du naturel, la manière dont l’émotion se construit par petites touches tout autant que par grands mouvements et la foi totale qu’il a en son spectateur.


C’est pareil pour le monde fantastique qu’on va visiter. C’est probablement ce que Miyazaki a fait de plus onirique, un pur univers d’imaginaire où cohabitent vastes étendues naturelles et vestiges de civilisation à moitié enfouis et au sein duquel évoluent des créatures plus ou moins incongrues. Tout semble régi par un ensemble de règles dont certaines sont à peine expliquées et je pense que l'œuvre s'apprécie mieux en la voyant comme un pur voyage de rêve, une succession de moments qui titillent l’imaginaire et évoquent des sensations ou des émotions qui transcendent la seule vignette. J’ai du mal à décrire pourquoi les images du cinéaste me touchent autant car je pense qu’elles évoquent chez moi quelque chose de purement subconscient, qui fait appel au rêve et à l’imaginaire.


Tout cet aspect est d’ailleurs complètement transcendé par la qualité de l’animation. Je n’aurais pas peur d’affirmer qu’il s’agit sans doute du plus beau film de Miyazaki. C’est déjà splendide par la seule qualité de la direction artistique, de ses décors qui agissent comme de vrais tableaux au sein desquels évoluent les personnages, et de la parfaite balance entre épure et fourmillement que le cinéaste a toujours maîtrisée à la perfection. Mais tout est élevé par le mouvement, c’est son film à l’animation la plus travaillée, la plus détaillée, tout est d’une fluidité de chaque instant tout en ayant ce “poids” bien particulier qui caractérise les images du maître. Encore une fois, la manière dont il anime les expressions, les corps et les éléments me touche à un niveau que je peux difficilement expliquer. Surtout que le film comprend de superbes moments d’élévation animée, de l’introduction et ses plans subjectifs chaotiques à la première confrontation avec le héron ou bien évidemment la scène de la chambre de travail, bouleversante. Chez Miyazaki, on ressent avant d’intellectualiser et c’est pour ça que les éventuels imbroglios du scénario ou de la diégèse ont finalement peu d’importance à mes yeux.


J’aimerais beaucoup également décortiquer la musique de Joe Hisaishi qui joue une part énorme dans le ressenti du film. Comme d’habitude lors de chaque collaboration avec Miyazaki, l’osmose entre les compositions et les images est parfaite et chaque moment fort du récit est sublimé par une partition peut-être plus sombre qu’à l’accoutumée. Peu de thèmes ensoleillés, ici le compositeur joue davantage avec des violons stridents, des pianos aux tonalités mineures et des choeurs inquiétants. Il me faudra encore quelques écoutes pour pleinement appréhender cette bande originale aux accents moins immédiatement marquants que celles de Mononoke ou Chihiro mais tout aussi riche à mon avis.


Et je pense que toute la densité de l'œuvre se situe dans son rapport à l’imaginaire. Car si Miyazaki a toujours représenté des mondes fantastiques, c’est la première fois à mon sens qu’il y réfléchit à ce point. L’imaginaire est bien entendu utilisé ici comme un moyen de traverser le deuil et de projeter les éléments de la vie et de la mort sur un tableau comme pour mieux les appréhender. Mais je pense que le film le traite finalement comme un moyen d’échapper aux aspérités du réel. Et à mon sens, le réalisateur nous dit que l’imaginaire ne pourra jamais complètement se soustraire au réel car il est toujours nourri par lui. C’est pour ça que ce fascinant personnage de créateur n’arrive pas à créer un monde sans défauts, car chaque tentative de correction va mettre en péril un autre élément et que les créatures de ce monde fantastique finiront par répéter les mêmes schémas de guerre et d’avidité que la race humaine qui les inspire inévitablement.


C’est un film qui fonctionne énormément par symboles et par évocations, du coup je suis çà peu près sûr qu’il me manque plein d’éléments qui ne feront sens qu’après un revisionnage (comme chacun de ses films finalement dont la richesse m’atteint un peu plus à chaque vision). D’aucun auront aussi évoqué les nombreuses références autobiographiques qui ponctuent le récit et lui donnent encore un autre éclairage. Je ne connais pas assez la vie personnelle du cinéaste ou l’histoire du studio pour voir ces références (ou bien celle au livre ayant inspiré le film, que je ne connais pas du tout). Mais j’aime cette idée que Miyazaki se place dans la peau de ce personnage vieillissant, incapable d’arriver à la perfection à laquelle il aspire et cherchant désespérément un successeur. D’autant plus qu’elle m’évoque les meilleurs aspects de Ready Player One, film-somme également - moins bon à mon sens mais tout aussi touchant dans ce qu’il dit de la carrière de Steven Spielberg.


En ce sens, ça me semble difficile d’imaginer un meilleur film pour clôturer la carrière de Miyazaki. Par sa valeur de parfait film-somme bien entendu mais aussi parce qu’il synthétise tout ce que je peux adorer dans son cinéma, dans une forme pure et sans artifice aucun. Peu importe finalement si le Maître a encore en lui la force de continuer inlassablement son œuvre imparfaite à ses yeux. Car j’aurai déjà eu la chance deux fois de voir “le dernier film de Miyazaki” en salle et d’en ressortir bouleversé, et je ne peux juste pas imaginer qu’il me déçoive un jour.

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le 2 nov. 2023

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Yayap

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