Il faut se faire une raison les meilleurs films de Ridley Scott se situent au début de sa carrière. Alien le Huitième Passager, Gladiator, Blade Runner, les Duellistes. Sa filmographie a ensuite manqué d’inspiration au point de se noyer dans l’abondance des blockbusters. Prometheus, Alien Covenant, Seul sur Mars. Qu’il est bon donc de voir revenir Ridley Scott sur ses premiers pas dans le monde du cinéma. Avec Le Dernier Duel, le réalisateur fait plaisir en nous gratifiant de ce qui faisait autrefois toute sa grandeur.


Soit l’histoire vraie en France, en pleine guerre de Cent Ans, d’une accusation de viol. Marguerite (Jodie Comer) accuse Jacques LeGris (Adam Driver) d’agression sexuelle, forçant son mari Jean de Carrouges (Matt Damon) à réclamer un duel judiciaire sous le regard de Dieu. D’un côté, avec ce casting de rêve la prudence est de mise tant les derniers métrages les plus alléchants de Ridley Scott se sont avérés être de véritables désastres. D’un autre, on pouvait craindre que des impératifs malicieux propulsent une telle affaire dans une vision trop contemporaine avec tous les standards de notre époque. Fort heureusement, Le Dernier Duel ne cède jamais à aucun formalisme et renoue alors avec un certain savoir-faire : le présent métrage s’investit d’une modestie et met sa dimension spectaculaire à l’écart de l’intrigue.


Parce que son projet est humble, Ridley Scott ne propose pas une œuvre aussi dynamique que Gladiator. Les confrontations musclées ne se font que par petites doses, notamment avec un bref aperçu du duel lors de l’ouverture, et elles sont toujours interrompues rapidement afin de ne pas s’éterniser. La narration décide donc de se concentrer sur l’accusation de viol en l’explorant de manière cryptique. Trois versions par trois personnages se chargent de développer l’opacité du scénario. L’événement principal est scindé, tandis que l’histoire suit son cours jusqu’au dénouement final.


Par un traitement assez surprenant de l’affaire, la bataille pour la vérité ne se joue que pour les personnages tandis que les doutes ne s’extirpent jamais de l’écran pour nous influencer. Le viol est ici une certitude qu’on ne peut nier en nous montrant le crime par deux fois. De ce fait, l’authenticité de l’accusation est assurée. Il ne reste que ce que la fragmentation de la narration permet de dépeindre chez les personnalités des personnages mais aussi sur les mœurs de l’époque.


Les trois regards portés sur le monde sont des témoignages. Ils montrent ô combien la perception diffère des uns et des autres sur les gens et les choses. Ainsi, quand Jean se voit comme un homme modèle et la figure emblématique du courage, le point de vue de son ami Jacques leGris ne pourra le décrire que comme un animal puissant mais surtout stupide. Son univers est fait d’honneur mais aussi d’une propension démesurée à le préserver. Et Jacques LeGris, en grand charmeur, nous prouvera que les privilèges chassent la morale de l’Homme au point d’en oublier la notion de consentement. Il nous emmène dans son monde de décadence et de débauche où l’alcool et le sexe demeurent les principales passions. Reste donc le cas de Marguerite qui apporte une vision castrataire de son univers où sa voix et ses droits ne comptent pas face à la supériorité des puissants. Par sa peine elle nous démontre que la femme est avant tout rangée à côté des titres et des prestiges de son mari, sans jamais être considérée comme une véritable personne. Et c’est bien tout le propos du présent métrage : seul le témoignage de Marguerite permet d’obtenir un regard sincère et juste de la situation.


C’est une approche singulière qui permet d’élaborer un travail sur la confusion des sentiments. L’érosion de la mémoire et l’hypocrisie de notre esprit font que nous dénaturons la vérité afin d’en façonner une nouvelle version. Toute la finesse du récit réside alors dans ce déploiement des perceptions. Il est intéressant de constater que Jacques LeGris ne voit jamais son acte comme un viol, mais comme une déclaration d’amour sincère et délicieuse. Quelques regards et attitudes de la part de Marguerite, bien mal interprétés, auront suffi à confondre chez lui le consentement et l’abus. De même, si Jean nous paraît aussi honorable qu’un Maximus (le Général Romain dans Gladiator) la version féminine de Marguerite permet de dégrader notre première impression. En vérité, il n’y a aucun héros vaillant pour sauver la dame, les deux hommes sont autant l’un que l’autre des bourreaux de sa vie.


Ainsi, l’absence de mystère autour de l’accusation de viol s’avère paradoxalement une bonne chose. La construction du récit aurait pu jongler entre les témoignages, travailler son enquête pour démêler le vrai du faux, mais il est bien plus séduisant de traiter l’histoire sous la notion d’injustice pour amener le récit à ce point culminant qu’est le fameux duel. Une confrontation finale qui rompt avec la froideur du reste du métrage en nous donnant une dose méritée d’action et de tension, même si elle comporte un double discours : ce n’est pas tant un duel barbare entre deux rivaux qui se joue, mais un duel sociétal entre trois participants dont Marguerite dans son combat pour la liberté.



Conclusion :



Le Dernier Duel vient pleinement nous chambouler en s’inscrivant comme le retour en grâce de Ridley Scott. C’est un divin morceau de bravoure qui nous ramène fièrement l’orfèvre d’Alien le Huitième Passager, de Blade Runner, de Gladiator, des Duellistes, et qu’on ne pensait plus jamais revoir.



Je dis la vérité.
La vérité n’a aucune importance.
Seul le pouvoir des Hommes compte.


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le 3 déc. 2021

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Death Watch

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