L’Histoire retiendra sûrement que la carrière de Ridley Scott a commencé avec des Duellistes et qu’elle s’est finie sur un Dernier duel
…un duel de trop.


Alors oui, bien sûr, d’autres films du prolifique Ridley sont déjà en production ce qui fait que cette affirmation – comme quoi ce Dernier duel serait le dernier film de l’auteur – est déjà pratiquement périmée au moment d’être écrite. Mais d’un autre côté, je ne vois pas comment un cinéaste peut se relever de « ça ».
Pourtant il est vrai que – déjà dans un passé pas si lointain – l’auteur d’ Alien et de Blade Runner s’était déjà rendu coupable de films bien indigents comme Une grande année, Exodus ou bien encore Alien : Covenant. Néanmoins, à mon sens, il n’avait jamais atteint ce niveau de… « décrépitude » là.


Parce que, pour moi, voir ce Dernier duel, ça a vraiment été une souffrance à tous les niveaux, à tel point que je ne saurais par où commencer…
Quoi que – si – comment ne pas commencer par ce qui m’a occasionné dès les premières minutes des larmes de sang ?
Comment ne pas commencer par cette photographie absolument dégueulasse ?…


C’est vraiment à voir pour le croire. Sombre, dessaturée au possible et noyée dans un bleu vraiment immonde, cette photographie est juste une injure faite à l’œil.
Une injure qu’on doit d’ailleurs se coltiner pendant 2h32 et qu’il est franchement difficile d’occulter.
Parce qu’en plus de ça il faut que s’y rajoutent d’autres tares plastiques comme des scènes de bataille ridicules de bougisme et presque guignolesques dans l’accentuation des bruitages, des incrustations numériques hideuses, mais aussi un usage de la coupe totalement aux fraises.


Rien d’étonnant dès lors que d'un tel substrat n’ait su jaillir qu’une intrigue aussi difforme et mal narrée.
Et si le premier tronçon de l’histoire – qui dure trois bons quarts d’heure tout de même – est exaspérant de clichés et de platitudes – ne sachant jamais poser de tension, la faute à une narration saccadée qui transite sans cesse d’une scène à une autre sans jamais prendre la peine de rien installer – le passage au chapitre deux (sur trois) enfonce quant à lui durablement le clou à cause de l’exaspérante déception qu’il suscite.


Parce qu’en effet, avec ce chapitre deux, ce Dernier duel révèle le seul élément qui aurait pu être susceptible de générer de l’intérêt.
Partant du principe qu’il retrace un différent juridique entre deux seigneurs et qui se conclura par ce fameux duel éponyme, le film se décide d’adopter cette affaire d’un point de vue – certes peu novateur mais du moins intéressant – qui consiste à…


…aborder la même histoire mais à travers la perspective de trois personnages différents.


L’air de rien, en procédant ainsi, Scott disposait d’un procédé qui aurait pu lui permettre à la fois de questionner habilement toute la difficulté qu’il y a à juger ce genre d’affaire, mais tout en questionnant en parallèle la difficulté qu’a l’historien à juger d’une période tout court…


Mais malheureusement – puisque le naufrage se devait visiblement d’être total – non seulement Ridley Scott ne tire de ce procédé narratif que très peu de profit…


Je garderais malgré tout comme bref mérite le fait qu’au début du second chapitre, Scott ait eu l’intelligence d’opposer à l’image que Jean se fait de Jacques de traitre profiteur , celle que Jacques se fait de Jean de l’ami embarrassant .
En ne situant pas l’opposition des deux hommes sur le même plan, le deuxième chapitre ne se pose dès lors pas comme une simple contradiction mais plutôt comme une complexification de ce qui nous a été raconté dans un premier temps.
Bref un choix qui, de mon point de vue, tient la route et que j'ai plutôt apprécié...


Mais à côté il a fallu que Scott réussisse à faire en sorte de transformer sur le long terme ce véritable atout en consternante faiblesse.


Parce que non seulement l’octogénaire passe à côté de belles opportunités dans le chapitre 2…


Rendre le point de vue de Jacques plus conciliant à son égard aurait notamment permis d’une part de maintenir le spectateur en position d’équilibre entre Jean et lui (alors que là, avec un viol aussi caractéristique, c’est mort : le procès du spectateur est déjà plié) ; et puis d’autre part ça aurait permis de rendre le troisième chapitre encore plus percutant parce qu’encore plus en rupture avec les deux visions précédentes (renvoyant ainsi les deux hommes dos-à-dos).


Mais en plus, en procédant de cette façon, Scott rend également son troisième chapitre totalement inopérant…


Au regard de l’affaire, il ne fait que répéter ce qu’on sait au fond déjà.


…incohérent…


...Ce qui est notamment le cas quand le troisième chapitre s'ouvre en annonçant que la vérité selon Marguerite sera LA Vérité. En procédant ainsi, le film flingue le principe central qui justifiait jusqu'alors le fait qu'on abordait l'affaire selon trois points de vue différents.


…chiant…


Car faute de véritable rupture de ton entre les chapitres 2 et 3 on se retrouve parfois à devoir se coltiner des scènes en double et cela sans véritable grande modification.


…malaisant…


Se coltiner le viol deux fois dans le détail, pour moi c’est clairement problématique. Surtout qu’il y a si peu de différences entre les deux versions qu’on est forcément en droit de s’interroger sur les motivations de Scott à un tel choix (et on en reparlera d’ailleurs un peu plus loin…).


…Et surtout pathétique de balourdise.


Parce qu’en effet, être laid et mal construit n’était manifestement pas suffisant pour ce film.
Il a fallu qu’en plus de ça, dans son dernier chapitre, ce Dernier Duel se vautre dans l’un des plaidoyers les plus grossiers et les plus m’as-tu-vu de ces dernières années.
Car manifestement, pour sa mouture 2021 de son énième fresque historique, Ridley Scott a voulu montrer qu’il était un féministe pour de vrai et que – comme visiblement il avait peur que ça ne se voie pas – il a décidé d’y aller A LA PUTAIN DE TRUELLE.
Ainsi ce troisième chapitre se transforme-t-il en une ode très gros sabots en l’honneur du personnage de Marguerite – seule détentrice de LA vérité – doublée d’une dénonciation au pilon de la culture du viol.
C’est tellement subtil qu’on est à deux doigts d’entendre le personnage de la belle-mère crier « #MeToo ! »…


Et qu’on s’entende bien sur ce que je suis en train de dire : oui, vivre en tant que femme à l’époque du Moyen-âge c’était bien une purge. Je ne contredis pas ça.
Et oui, factuellement parlant, chaque point soulevé par ce film n’a pas grand-chose d’incohérent ni de véritablement exagéré…


Je pense notamment au fait que la femme ne soit traitée que comme une simple matrice à enfanter, qu’elle puisse subir ainsi constamment des reproches à ce sujet jusqu’à sa propre belle-mère, qu’on soit persuadé à l’époque que la conception n’est possible que par une forme de jouissance féminine ce qui rend dès lors tout viol suivi de procréation comme un acte qui n'a pu être qu'apprécié par la victime et donc à minorer …
(…Autant de choses confirmées par les recherches de Georges Duby et Michelle Perrot dans leur tome 2 d’ Histoire des femmes en Occident ! ;-) )


Donc non, le souci n’est pas ce qui est dit et montré de l’époque.
Le vrai souci, selon moi, c’est davantage cette outrance avec laquelle le film semble nous dire toutes les deux minutes : « eh on condamne hein ! »


Non mais franchement quoi…
On en est vraiment arrivé à ce point là ?
On a tellement peur de se faire accuser d’être du mauvais côté de la barrière qu’un mec comme Ridley Scott se retrouve contraint à être aussi caricatural afin d'être certain qu'on ne puisse surtout pas se méprendre sur ses intentions ?!
(Le pire étant que, pour ma part, je suis loin de le trouver toujours si clair que ça le père Ridley...)


Parce que bon – désolé de revenir sur cette histoire de viol vu deux fois – mais moi, par exemple, le premier viol m’avait parfaitement suffi pour l’identifier pour ce qu’il était hein…
Me le remontrer une deuxième fois avec Marguerite qui crie davantage histoire de vraiment insister sur le fait que ça a été horrible pour elle, moi perso, je n’en avais clairement pas besoin.
Et c’est d’ailleurs ce qui m’interroge grandement sur les intentions de l’auteur. Pourquoi a-t-il jugé ce doublon utile ?



Alors après, si ce bon vieux Ridley était si mal à l’aise que ça avec le sujet, il pouvait le laisser tomber hein...
Parce que là c’est tellement forcé que ç’en devient franchement ridicule, voire presque anachronique dans sa manière de vouloir absolument faire des parallèles avec des situations plus contemporaines.
(D'ailleurs, à ce sujet là, je trouve qu’un film comme La chair et le sang de Paul Verhoeven est bien plus percutant et efficace pour signifier la situation des femmes au Moyen-âge que ce Dernier duel alors que, pourtant, ce n’est pas son sujet central. J'irais même encore plus loin en signifiant que des films comme Alien ou Thelma et Louise du même Ridley Scott sont bien plus intéressants et subtils sur la condition féminine que ce Dernier duel là.)


Ainsi, après m'être coltiné un tel déversoir de mauvais goût et de mauvais choix, je suis ressorti de ce film usé, accablé, tout en ayant envie de gueuler bien fort « merde ! »
Parce qu’en sortant de la salle j’étais en train de repasser ces 2h32 dans ma tête et je me suis rendu compte à quel point ce Dernier duel avait en lui tout ce qui aurait pu en faire un grand Ridley Scott : une histoire riche et intéressante, un parti-pris narratif percutant, et surtout une approche originale et perspicace d’un Moyen-âge que l’auteur avait déjà su dépeindre non sans pertinence…
…Et au final qu’est-ce que j’ai eu ?


Un film plastiquement dégueulasse (au point que je n'arrive même pas à me satisfaire de la mise-en-scène du duel final, pourtant au-dessus du reste), incapable de dérouler convenablement son intrigue, avec une narration qui d’abord tressaute puis ensuite bégaye, au service d’un propos balourd et desservi par des personnages horriblement caricaturaux. (…Et d’ailleurs sur ce point j’ai été gentil parce que je n’ai pas évoqué comment Charles VI avait été représenté dans ce film.)


Tout ça est vraiment NAVRANT.
Et dire qu’avant ce film je me plaignais de la photo excessive de Kingdom of Heaven !
Et dire qu’avant ce film je conspuais la bêtise d’ Alien : Covenant !
Et dire qu’avant ce film je déplorais le degré zéro du propos d’une Grande année !
Mais maintenant que j’ai donc vu ce Dernier duel le peu d’espoir que je pouvais encore avoir en Ridley Scott vient d’être thermonucléarisé par une explosion numérique bleue lavasse.
Alors forcément, quand je me dis qu’il y a d’autres films de Ridley Scott dans les tuyaux pour succéder à ce Dernier duel, je ne peux m’empêcher de me crisper…
Je me dis que le pire est encore devant nous…
…et qu’on en a peut-être pas encore vu le bout.


_
Note : Suite au commentaire de l'honorable Fleming, j'ai décidé de rajouter à cette critique une très brève remarque sur la scène du duel final. C'est une information à considérer si jamais vous voulez pleinement cerner le sens de la conversation ci-dessous. ;-)

Créée

le 13 oct. 2021

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