Lassés d’une vie routinière et ennuyeuse, quatre professeurs de lycée expérimentent la thèse du psychologue norvégien Finn Skårderud. Ce dernier soutient l’idée que l’humain aurait un déficit d’alcool dans le sang depuis la naissance, pour être heureux il faut maintenir un taux minimum de 0.5 quotidiennement.



Kampaï !



D’emblée, le présent métrage déploie un regard clinique et voyeuriste afin de présenter sans avoir besoin de longues explications la vie de Martin (Mads Mikkelsen). Aucun mot ni aucune formule n’aurait pu mieux décrire ce que l’on ressent immédiatement lorsque l’on sonde son regard comme s’il nous invitait à plonger dans son abîme de douleur et à comprendre l’abyssale désespérance de son existence : il est à la lisière de la dépression et est las de persister à vivre. Si son mode de vie apathique nous touche presque instantanément, la vie de ses camarades enseignants ne vaut guère mieux. L’un est un père de famille qui développe un self-control inhumain afin de se protéger des attaques mesquines et revanchardes de sa femme, l’autre est un célibataire qui peine à vivre dans la solitude et rêve d’une vie qu’il n’aura jamais, le dernier camarade est l’archétype du professeur de sport « beauf » un brin idiot sur les bords.


On reste néanmoins focalisé sur le cas inquiétant de Martin, dont l’absentéisme dans sa relation conjugale ainsi que son manque d’envie de vivre le piège dans une sorte de coma éveillé. Une fausse solution apparaît comme cela arrive malheureusement pour beaucoup de personnes qui n’arrivent plus à avancer convenablement : celle de boire. Alors qu’habituellement cette facilité est motivée par la déception, les quatre professeurs et amis décident de boire dans un but expérimental afin de concrétiser la thèse du psychologue Finn Skårderud selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang.



Skål !



Lors d’une interview, le réalisateur Danois Thomas Vinterberg qualifiait son film en une phrase simple : « l’irruption de l’incontrôlable dans la vie ». C’est tout le propos du présent métrage qui mène à une réflexion totalement déconnante de la part du quatuor de professeurs et par cet intermédiaire une analyse intime de la conscience humaine. L’homme est une carcasse sans but qui peine à être réanimée au sein d’un quotidien terne. Les rêves de jeunesse et les victoires passées semblent s’être écrasés sous le poids de la vacuité de l’existence. On ne décèle chez Martin, ni aucune forme de fougue, ni de courage, ni même d’envie. Il est simplement devenu une coquille vide qui continue à avancer parce qu’il a réussi à enclencher une sorte de pilotage automatique. Une seule solution pour vaincre cette vie apathique : l’alcool. Et même si l’on ressent facilement les futures dérives liées à sa consommation abusive, vivre sous son influence agit pour lui comme une renaissance. La dépression laisse sa place à la joie, la peur au courage, l’incapacité à la compétence. Sous l’euphorie des professeurs qui semblent jouir d’une découverte à la fois si simple et inédite, on émet facilement la conclusion que boire ne génère sur l’esprit que de savoureux aspects positifs.


Soyons clairs, notre confrontation face à l’alcool ou celle que nous avons eu l’occasion de constater chez les autres peut aisément prendre des formes très diverses. Le domaine de l’alcool n’est pas un univers manichéen qui peut se vanter que de ne comporter que deux notions : l’abus ou l’abstinence. Il existe en effet tout un éventail de notions d’une extrémité à l’autre. De sa banalisation à sa diabolisation, l’alcool est un produit festif, un remède au malheur, une substance dopante, une potion de vérité. Il donne du courage, réchauffe, console, blesse, et peut même tuer. Cette relation d’amour-haine face à l’alcool est au centre de l’expérimentation des professeurs. Le groupe y mélange les aspects positifs et négatifs de ce produit répandu de la consommation courante dans le but de confirmer tous ses bienfaits, même s’il advient inéluctablement ces moments néfastes et prévisibles de l’alcool sur le corps. Plus précisément, il est question de l’équilibre fragile entre être légèrement enivré pour se libérer de quelques obstacles et se soumettre à l’ivresse. Prouvant ainsi malgré eux que la modération a bien meilleure goût.



Conclusion



A mi-chemin entre la comédie et la tragédie, Thomas Vinterberg nous conte la descente aux enfers d’un quatuor d’enseignants d’abord face à la vacuité de l’existence puis face aux dangers de l’alcool. Après une première collaboration dans le film « la Chasse », le réalisateur Danois retravaille avec Mads Mikkelsen pour un résultat très convainquant nimbé à la fois par la tendresse et le désespoir.


Drunk est une expérience sociale et une analyse intime de la conscience. Sans jamais céder au moralisme, le film nous plonge au cœur des douleurs de l’âme humaine où chaque spectateur y verra un peu de soi-même. Le tout avec un traitement audacieux du sujet de l’alcool, ici sous l’aspect d’une solution pour réenchanter une vie morne avec ses bienfaits et ses dérives.



What a Life
What a life, what a night
What a beautiful, beautiful ride
Don't know where I'm in five but I'm young and alive
Fuck what they are saying, what a life


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le 8 janv. 2021

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Death Watch

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