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Le Dernier des Mohicans, mon Michael Mann préféré à ce jour, n'est pas de ces films qui ont marqué mon enfance et tracé un sillon dans lequel j'ai placé mes pas de jeune cinéphile. La liste, très orientée histoire, aventure et action, compte fièrement des productions comme Le Dernier samouraï, Gladiator, Le Seigneur des anneaux (...), productions dont les défauts m'apparaissent maintenant aussi nettement que leur peu de poids en regard de la nostalgie infrangible que les films qu'ils parsèment arrivent à réveiller. Sans pousser son sens de l'observation dans ses retranchements, il apparaît clairement que Le Dernier des Mohicans avait tous les arguments pour rejoindre ce gotha ; ne lui aura manqué que de me mettre le grappin dessus au sortir de mon enfance, puisque j'ai dû le découvrir autour de mes dix-huit printemps.


Qu'à cela ne tienne ; ce groupe des films qui ancrent mon imaginaire et pénètrent certains de mes souvenirs avec une étrange prégnance, il est pourtant venu le rejoindre par la force, grâce à un parfum d'intemporalité iconique dans lequel ma nature parfois un brin exaltée ne demandait pas mieux que de se fondre. Je ne commenterai pas tout en détail, critiquer de façon exhaustive un film dans lequel je n'accepte de me plonger que par le plaisir spontané qu'il m'inspire relevant du contre-sens, sinon du blasphème.


Je voudrais simplement revenir sur le personnage de Magua, et tenter de montrer comment son traitement s'étend à une oeuvre dont il éclaire à merveille le pouvoir de fascination, quelque part au milieu des brumes qui séparent et relient une histoire (voire l'histoire elle-même) à tout ce qui en nous rêve de la sublimer. L’écueil à éviter à tout prix dans l'évaluation de ce bad guy, à mes yeux, est celui d'une approche rigoureusement psychologique. Animé d'un désir de vengeance caricatural et jamais humanisé, Magua n'est certes pas un modèle de finesse, mais qu'importe ?


Ce personnage n'est pas à lire, je crois, sur un plan simplement humain. Magua, quelque part, est celui qui nous échappe toujours, celui dont la rudesse et la violence appartiennent à un univers qui nous est étranger. Immortalisé par la gueule charismatique de Wes Studi, le personnage paraît par moments sourdre de l'écran, curieusement réel dans le décalage qui s'opère entre la fierté de son regard et notre incapacité à la démêler. Magua, les tribus indiennes (dont Mann respecte certes formellement les rites) et même les paysages de l'Amérique originelle sont trop écrasants de présence pour être compris et maîtrisés ; sans cesse iconisée, l'action et la réalité de l'époque se donnent une vie trop pleine et trop tangible pour que ma conscience de spectateur s'en empare sans un respect interdit et presque superstitieux.


Cette histoire, ces personnages et ce chef tribal qui me regardent par-delà les siècles, je croirais presque les voir se fondre en une autre réalité, que jamais un détail trop explicatif de tout le mystère qui gît en ces autochtones ne viendra épuiser ou rendre captif des prétentions impériales et autoritaires que ma conscience a toujours sur de mon âme. En cela, la démarche de Mann est sans doute la plus sincère possible ; loin des anachronismes psychologiques qui pourraient se targuer de "respecter la psychologie et la spiritualité indienne", il préfère admettre que passé un certain stade de fidélité, le cliché est tout ce qu'il nous reste pour comprendre intimement une réalité disparue.


Ce cliché, il lui suffit en fait de l'iconiser pour lui rendre toute sa dignité, faisant alors de ce monde incompris le point de mire de nos fantasmes et la cristallisation d'un sentiment de l'ailleurs inaccessible, des frontières du temps et de la civilisation, et de ce qu'elles révèlent par la force des choses de nos propres frontières intérieures. Est-ce un hasard d'ailleurs si Nathanaël, blanc élevé par un Mohican, n'appartient plus vraiment ni à un monde ni à l'autre ? Si son frère d'adoption Uncas s'éprend d'une jeune britannique (je le comprends, le bougre) que le destin éloignera de lui ?


Film de l'irréconciliable, Le Dernier des Mohicans trouve pourtant la conciliation par la force du fantasme, la brûlure du désir et les flammes fondamentales de l'esprit humain. Cri à travers la brume d'un monde qui disparaît puisque personne ne sera plus là qui pourra vraiment le comprendre, il se condense magnifiquement en un plan final où Mohican, bâtard et européenne font face côte à côte, à jamais séparés mais pourtant réunis dans leur humanité, au paysage qui s'étend devant eux : celui du destin, de la mort et de la vie qui leur donne naissance, atteignant à un universel au beau milieu de sa complainte sur une altérité indépassable.


Bien plus qu'un simple film d'action, Le Dernier des Mohicans m'est tout de suite apparu comme habité par une âme propre, un frisson indicible qu'il paraît tellement vain de vouloir figer sur du papier. Si je m'y suis livré, c'est sans doute pour augmenter le plaisir de son évocation par les maigres apports de la raison. Chasser les éventuels doutes quant au goût dont je fais preuve en lui donnant toute mon admiration et lui donner un fondement identifiable - curieux, comme nous passons notre temps à chercher à ressentir avant de contrôler par l'intellect le bien-fondé de ces sentiments, comme si tout en nous devait être inféodé à cette surface que l'on appelle raison, et sous laquelle on a si peur de se noyer. Sur ce point là pourtant, Le Dernier des Mohicans et ce que je peux en dire se réconcilient dans le parfum d'éternité que la séduction du film distille : si j'écris si longuement à l'aide d'outils si prosaïques, ce n'est que pour le plaisir destructeur d'oublier mes propres errements discursifs, et replonger ensuite, vierge comme l'eau des rivières, dans ce Dernier des Mohicans avec mon âme pour seul gouvernail.

Kloden
9
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Créée

le 15 nov. 2017

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Kloden

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