Premier long-métrage de Jerzy Skolimowski en dehors des frontières polonaises, « Le Départ », production franco-belge, s’adonne à un cachet nouvelle-vague française en plein centre de l’énergie bruxelloise. Flirtant avec un certain fétichisme, ce film, tourné sous forme d’exercice de style, laisse transparaitre une liberté enfonçant le clou de la transition godardienne tout en invitant son réalisateur à un renouveau cinématographique. Si Skolimowski est davantage (re)connu pour ses films austères s’appliquant à une forme de dérision (« Deep End », « Le Cri du Sorcier »), « Le Départ » ressemble à un croisement jubilatoire entre « À bout de souffle » et « Bande à part », s’accompagnant des figures fondatrices de la nouvelle-vague, dont notamment Jean-Pierre Léaud et Catherine-Isabelle Duport devant la caméra, et Willy Kurant à la photographie (« Masculin/Féminin », « Loin du Viêt-Nam »).


Consistant en une course-poursuite sous forme de compte à rebours, « Le Départ » ne cherche pas tant à dresser le portrait de la jeunesse d’Europe de l’ouest, mais consiste davantage à la captation de l’ivresse de l’improvisation. Fort d’un rythme volontiers excessif, le film sautille, soufflant un vent de liberté rocambolesque à travers sa bromance marquant le point de départ du rallye libertaire, entrainé par le souffle du modern-jazz de Krzysztof Komeda et Don Cherry.


Les séquences s’enchainent avec vélocité, au même titre que les belles cylindrées, mais une question demeure : pourquoi éclater ainsi les images dans une si pure tradition godardienne ? Si « Le Départ » fait tant figure d’ovni dans la filmographie de Jerzy Skolimowski, c’est que ce dernier réalisera, par la suite, de nombreuses « antithèses » à cette œuvre. Sauf qu’en réalité, « Le Départ » n’est pas tant hors-champs de la filmographie du maitre polonais. Le long de sa carrière, Skolimowski revient en effet sur une thématique : l’enfermement, ou plutôt, la course contre l’enfermement. C’est un thème que l’on retrouve aussi bien dans « Deep End » (1972) que dans « Essential Killing » (2011). Et « Le Départ » ne s’éloigne en rien de cet axe : c’est l’histoire de deux jeunes individus fuyant les convenances, non pas par peur, mais plutôt par insolence, comme une forme de romantisme adolescent se perdant dans le monde adulte. À ce titre, Marc, campé par Jean-Pierre Léaud, semble craindre ce monde adulte, et cela s’observe via sa peur de l’amour. À la fin du film, lorsqu’il est seul avec Michèle, dans sa chambre, il semble effrayé par la nudité de la jeune femme, marquant sur son visage un gros plan, avant que le film ne touche à sa fin.


Et au prix de cet amour pour Michèle, Marc abandonne son rêve : celui de participer à ce rallye pour lequel il a temps donné. C’est peut-être ça, aussi : il n’y a pas d’échappatoire à ce qui ne dure qu’un temps, et quoi qu’il arrive, en bien comme en mal, le monde adulte enferme les enfants dans la rationalité. Et c’est donc avec panache et modestie que Skolimowski fugue la censure polonaise, atterrissant sur une route quelque part entre poésie et humour, se complaisant dans la quête d’un idéal de cinéma. Ce départ est, par conséquent, celui de Skolimowski, mais aussi celui de l’amour, et de ce rallye impitoyable qu’est monde adulte. Et « Le Départ » s’il semble un prétexte pour payer la dette du cinéma de Skolimowski à la nouvelle-vague, a parfaitement sa place dans la filmographie de son auteur, sous la forme d’une transition : non pas, justement, celle de la nouvelle-vague, mais celle de la nouvelle présence du monde.

Kiwi-
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le 25 nov. 2018

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