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Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

Émouvoir, charmer, subjuguer tout en faisant vœu de simplicité est une prouesse d'une grande rareté. Pousser l'audace jusqu'à la réappropriation de l'art traditionnel afin de l'exposer sous un jour nouveau relève du talent immense, si ce n'est d'un semblant de génie. Fort de son statut de vieux maître, Isao Takahata n'a plus rien à prouver mais a encore quelques leçons à distiller, avec passion et méthode. Alors que le cinéma s'égare parfois dans la surenchère, lui prône un retour aux sources, aussi bien sur le fond que sur la forme, exaltant les vertus du conte traditionnel, redonnant toute son importance à l'art graphique, à la puissance du trait, à la force du mouvement, aux charmes intemporels de l'aquarelle et du dessin au fusain. Avec Le Conte de la Princesse Kaguya, il prolonge d'une certaine manière le travail du chinois Te Wei (Impression de montagne et d'eau) en conjuguant devoir de mémoire et perfection du style, épure et acuité poétique.


Le recours au célèbre Conte du coupeur de bambous apparaît être comme une évidence pour étayer l'histoire : l'hommage aux traditions nippones prend ainsi tout son sens, la simplicité et l'authenticité du texte, quant à elles, viennent appuyer un peu plus la démarche artistique de Takahata. Le récit enfantin permet au propos de gagner en clarté et en universalité, le talent du cinéaste résidant dans sa capacité à composer les tableaux et à entremêler les niveaux de lecture. Ainsi, au rythme des estampes, c'est toute une richesse thématique qui est abordée, aussi bien sur la nature humaine que sur la société.


On appréciera la vision paradisiaque de la campagne, avec ces fruits à profusion et ces animaux fascinants, avec ces couleurs apaisantes et cet environnement bienveillant... On admirera surtout la facilité avec laquelle Takahata compose une délicate ode à la nature, à la terre du Japon, tout en réalisant l'hommage discret aux paysans, aux artisans, aux garants des traditions ancestrales : on ressent immédiatement son regard attendri à l'égard du vieux couple, dans sa manière de croquer leur quotidien et leur petite chamaillerie ; on perçoit également toute son admiration envers le travail artisanal à travers la magnifique scène avec les parents de Sutemaru.


Cette vision harmonieuse s'oppose à celle de la ville, lieu du factice et du faux-semblant, avec ces personnages qui se cachent derrière l'étiquette et qui font preuve de fourberie pour arriver à leurs fins. La satire est mordante et n'épargne ni les élites ni les coutumes ou le protocole. Mais l'exercice est d'autant plus savoureux qu'il n'est jamais gratuit ou méchant. Les différents personnages rencontrés, même les plus veules, sont toujours nuancés et portent en eux une flamme de sincérité (le dévouement de la préceptrice, le désir de faire le bonheur de l'autre exprimé par l'Empereur). Les institutions, elles-mêmes, ne sont pas caricaturées : elles ne sont pas foncièrement mauvaises et permettent, par exemple, le développement ou l'apprentissage de l'art. Si la démarche est remarquable, on pourra regretter quelques séquences redondantes comme avec les multiples passages des prétendants.


Cette vision nuancée de l'Homme et du monde, joignant intimement bonté et cruauté, poésie et laideur, est au cœur même du film, donnant à Le Conte de la Princesse Kaguya l'aspect d'un conte triste, profondément perturbant. En effet, quelle que soit la tonalité prise par le récit, privilégiant parfois l'humour, la tendresse ou l’espièglerie, on finit toujours par avoir le cœur en berne et la larme à l’œil. C'est là où se situe sa grande force, dans son aisance à faire briller les différentes facettes de la vie (la joie des premiers pas, la franche camaraderie, l'éveil aux sentiments, etc.) tout en évoluant entre ombre et lumière.


Toute est affaire de nuances ici, la pure candeur et la mièvrerie n'y ont pas leur place. L'amour ne se consume pas sous un soleil ardant mais délivre ses trésors uniquement au clair de lune, s'évaporant aux premières lueurs du jour. La passion amoureuse, le bonheur et les élans de liberté ne sont que des fulgurances ne durant que l'espace d'une balade, d'un air de musique, ou, tout simplement, le temps d'un songe. Le réveil est bien souvent douloureux, ramenant inexorablement Kaguya à sa triste réalité, nous plongeant par la même occasion dans un état de douce mélancolie. Le final, en ce sens, est d'une redoutable efficacité puisque l'émotion ressentie est à peine atténuée par la richesse visuelle qui envahit l'écran.


Le parti pris esthétique permet à Takahata d'exprimer pleinement son talent créatif, transformant Le Conte de la Princesse Kaguya en monstre d'orfèvrerie. Ici, l'important n'est pas de représenter fidèlement la réalité mais de privilégier le pouvoir évocateur du dessin. Le tracé connote fluidité et mouvement, nous donnant l'impression d'un monde évoluant constamment. L'exemple le plus étonnant demeure la représentation de la jeune fille qui grandit progressivement, dans un élan à peine perceptible. Takahata exalte les nuances en jouant continuellement sur le découpage des séquences, les reliefs du trait et sur les teintes des couleurs pour composer un univers poétique d'une grande variété, dans lequel chaque sentiment trouve sa représentation : le merveilleux accompagne la naissance d'un être dans un festival de couleur ; la poésie fait prévaloir ses droits en fleurissant les saisons ou en envoyant danser les étoffes comme les kimonos ; la fureur d'une fugue affiche sa frénésie par gros traits à l'écran... c'est ainsi mille et un trésors qui se succèdent dans une harmonie parfaite, valsant au gré du score de Joe Hisaishi, faisant du travail d'un vieil artisan un sommet de grâce et d'émotion.

Créée

le 4 janv. 2022

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Procol Harum

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