Cinq ans après Valse avec Bachir, qui soulignait déjà la spécificité du cinéma de Folman de travers de l’esthétisme de son film, il ne faut pas longtemps pour comprendre que Le Congrès sera un film phénoménal. Les plans, la justesse des interprétations et surtout la grâce folle de Robin Wright nous persuadent déjà que nous vivons un grand moment de 2013. Après un premier quart d’heure extrêmement cruel, Folman impose le tempo et lapide au fil de ses dialogues toute l’industrie du cinéma. Son hypocrisie, sa bienveillance contrefaite et sa force de détruire une carrière, sinon une vie, en quelques secondes.
Robin Wright est le symbole de cette industrie et en même temps sa victime collatérale. Elle est à l’image de ces sex-symbols éblouis par la gloire qui ont dérapé et ont tout perdu.
Dans un geste désespéré, et un peu contrainte et forcée, elle s’en va être scannée par un studio qui utilisera sa personne, jeune pour toujours, dans divers films sans qu’elle n’apparaisse plus jamais sur un plateau de tournage. Une dernière performance qui bouleverse et dont l’intelligence de Folman est d’avoir mis en parallèle la véritable carrière de l’actrice avec ce personnage. La performance s’en retrouve éminemment plus réaliste et le spectateur, qui perçoit ça comme un témoignage, une révélation, plie sous l’émotion au bout d’une demi-heure à peine. À ses côtés, Harvey Keitel épate et émeut tout autant que Wright dans une scène de scan parmi les plus belles vues en cette année 2013.

Puis, quand le film reprend vingt ans plus tard (en 2033), l’aura de cette révolution technologique semble déjà avoir pris les éléments du monde. On retrouve Wright, vieillie, au volant d’un cabriolet au fin fond d’un désert aride où seul une route se dégage du paysage. Une route vers une sorte de monde parallèle. Commence alors la longue traversée du monde de l’animation ! Hallucinogène, perturbante dans les premiers instants, le décor et les personnages cartoonesques ont remplacé les studios et les acteurs, chacun utilise une substance qui le fait se transformer en un autre rêvé. On y croise donc Jésus, Picasso, Beyoncé et même Michael Jackson en serveur de restaurant. Ce qui devait rester au domaine de l’art est devenu, sous le regard inquiet de Folman et de son héroïne, cette réappropriation corporelle terrifiante. Robin Wright a disparu, désincarnée de son subconscient pour n’être qu’une figure.

Au-delà du thème du temps qui passe, du pouvoir du cinéma, de sa fascination macabre à réunir tout le monde derrière les mêmes idées et du regard au vitriol que porte le cinéaste sur sa profession, Le Congrès est un film qui dépasse le spectateur de par ses ambitions et un propos emmené de manière totalement décousue. Pendant deux heures, on divague dans cet énorme complexe d’idées sans savoir trop quoi en faire, quoi en penser. La production design – inégale il faut bien le dire – et la mise en scène empile les idées, les références mais le surplein d’informations à l’écran déstabilise voire nous perd. Empilant les niveaux de rêves psychédéliques jusqu’à arriver à un niveau de chaos le plus total, le réalisateur d’origine israélienne interroge aussi la vie de cette actrice sur son parcours en tant que mère. Si, dans cette mort artistique, elle n’avait pas aussi perdu le bout de l’éducation qu’elle s’échinait à mener, si elle n’avait pas fini par abandonner la lutte pour sauver son fils de la maladie.
A travers ces thèmes totalement humains, le film nous rappelle sans cesse que la présence des acteurs est indissociable de l’émotion provoquée par le récit et peut-être que, sans eux, après une première partie qui nous mettait déjà à terre, nous n’étions pas déjà en train de devoir vivre sans eux pour aller chercher dans le cinéma et ses fonctions bien autre chose, trouver une autre mission dans l’art.

Le film s’amuse rapidement à nous perdre, trop d’informations derrière le cadre, trop de bousculades. Le rythme est véritablement cartoonesque mais les références sont diverses, aussi cinématographiques que picturales. Le Congrès est un film qui parle de cinéma sans l’aimer vraiment, portant constamment ce point de vue pessimiste sur l’avenir et sur l’ombre pesante que la mort, la perte tant artistique qu’humaine que cette révolution va engendrer.
Les défauts sont présents, ils pèsent parfois irrémédiablement sur le plaisir produit par le film, dans sa démesure et la passion avec laquelle il est réalisé, mais comment peut-on oublier ces premières séquences, leur force, leur magnificence et la grâce avec laquelle Ari Folman met en scène cette dernière ballade, ces dernières larmes, cet ultime sourire.
Il faut oublier tout cela, laisser cette poésie planer et faire le certain «deuil» de l’absence des formidables acteurs qui font l’âme et l’exigence imposée par son auteur israélien.
Et n’était-ce pas cela qui fait le défaut du film ? Celui de frapper trop fort, trop vite pour créer une déception progressive dans le récit.

D’une inventivité et d’une démesure folles, Le Congrès s’impose clairement comme l’un des films d’animation les plus ambitieux réalisés depuis dix ans. Inoubliable dans sa première partie avant d’installer, d’imposer le spleen d’un univers lumineux et imposant, Ari Folman a des revendications révolutionnaires et porte son cinéma à un état libertaire – à l’image de ce cerf-volant qui vole perpétuellement près des avions — rarement atteint par un metteur en scène, mêlant les tabous (l’utilisation des drogues) et les rêves d’une société. Pourtant, c’est bel et bien dans cet univers conçu et contrôlé par l’homme qu’une femme, domptée par ses peurs, va traverser le monde des hantises pour son dernier rôle, celui de cette mère mortelle. Tant un morceau de bravoure qu’un morceau de vie, bien imparfait mais foisonnant et frappé par la grandeur de l’existence à tout instant.
Adam_O_Sanchez
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le 11 août 2013

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Adam Sanchez

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