Le Cheik
5.3
Le Cheik

Film de George Melford (1921)

L'aliénation romantique choisie (éclairée ?) [et non-patriarcale/reproductive : ouf !]

Un pionnier du cinéma avec fausse princesse ou fausse femme forte trouvant son prince charmant exotique ou ténébreux. En 1921, Rudolph Valentino commence à séduire les foules grâce à son rôle dans Les quatre cavaliers de l'Apocalypse. La même année il enchante et suscite d'autres réactions extrêmes (et hostiles) grâce à sa prestation dans The Sheik de la Paramount (maison du champion Cecil B.DeMille). Cette adaptation du best-seller international The Sheik (1919) de l'anglaise Edith Maude Hull (qui serait responsable d'un courant littéraire de romances dans le désert avec bel arabe) reflète l'intérêt d'époque pour l'Orient mythique ou luxurieux. De nombreux films en témoignent, tels que The Young Rajah de Rosen (1921), la deuxième moitié du Die Spinnen de Lang (Das Brillantenschiff – 1920), puis surtout Le voleur de Bagdad (1924).


Agnes Ayres interprète une femme libérée, rejetant le mariage, tombant sous le charme d'un riche arabe lors d'une excursion dans le désert. Malgré le viol qu'elle semble subir, la sujétion en tout cas, elle change progressivement d'opinion sur son compte. Son ressenti va s'éclaircir et elle finira captive volontaire du bellâtre, dont l'aplomb et l'autoritarisme sont constamment soulignés. Le film provoqua des controverses en remuant des tabous raciaux et surtout sexuels ; il attira les foudres du sénateur qui donnera son nom au Code Hays (le républicain William Hays). Avec son idéal de domestication heureuse, Le Cheik de Georges Melford (Gouverneur malgré lui, Brigham Young) peut, surtout avec le recul, dégoûter ou réjouir des cibles partageant les mêmes convictions ou les mêmes préférences. Le spectacle peut être détestable à cause de motivations misogynes, d'instincts conservateurs ou de tendances moralistes ; ou délectable pour les mêmes motifs, à la condition d'accepter de concevoir le cheik en mâle recevable, ce qui n'était pas le cas à l'époque. L'androgynie de Valentino aurait été la raison principale du malaise chez les spectateurs masculins (ainsi que le cortège de paradoxes comme l'amour doucereux malgré l'emprise, ou l'affaiblissement récurrent du macho).


Il aurait de toutes manières été difficile de se reconnaître dans ce manège même sans cet élément. Concernant la prestation de Valentino : au mépris du réalisme et de l'honnêteté culturelle (là aussi il y a une forme de domestication, de négation digne de faux amis – mais sûrement enivrés par leur curiosité et leur bonne volonté) s'ajoute l'omission de la virilité. On est au niveau des danseurs châtrés ou des boys band années 1990 faisant frétiller pucelles et hystériques étranges. Les simagrées, la fascination surlignée, le mix de plans de dunes ou d'intérieurs sous la tente, rendent l'exercice mollement grotesque pour qui n'est pas prêt à fondre activement (la constitution 'mentale' peut donc aider). Les intertitres raffinés avec leur option carte postale viennent ponctuer d'interminables va-et-vient balourds aux poids creux. The Sheik file avec vivacité en articulant ses repères sentimentaux pour rappeler qu'il n'a rien à ajouter. Le film aura pourtant une grande influence sur les arts américains dans les années 1920, ressortira plusieurs fois et donnait à son tandem les rôles d'une vie. Valentino devient immédiatement un merveilleux outil du star-system, via lequel studios et journaux adorent fabriquer des mythes, avec en soutien le premier troupeau d'adulatrices recensé dans l'Histoire du cinéma.


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Zogarok

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