Qu'est-ce que le Canada? Comment définir le plusse bo pays du monde? Je serais bien embêté de répondre à cette question, après tout les deux solitudes (anglo / franco) n'ont pas obtenu leur surnom pour rien. Outre les évènements relatifs à l'histoire régionale qui se perdent dans un pays trop grand, incapables de résister ne serait-ce qu'à la distance Québec-Toronto, il y a aussi les évènements communs à toute la nation qui sont ensuite interprétés par chaque communauté de son côté, produisant des analyses déconcertantes pour celui qui daigne jeter un coup d'œil sur le voisin. Le voisin, peu importe qui il est, n'a rien compris, l'importance relative qu'il accorde à chaque détail n'a aucun bon sens.


Dans cette optique, le biopic de Rankin fait fi de ces vétilles qui feraient la véracité historique du récit. Son film de propagande psychédélique détruit à coup de triangles le territoire, détourne la chronologie et dissous les protocoles de notre jeune démocratie pour un résultat des plus jouissifs. L'idée ici n'est même pas de parler du Canada au vingtième siècle par le biais d'un portrait un peu baroque de William Lyon Mackenzie King, le premier ministre ayant dirigé, de manière discontinue, le pays pendant plus de 21 ans. Le récit est plutôt une reconstruction historique, un collage d'éléments disparates où une guerre canadienne vient se substituer à une autre et où les adversaires de partis différents (Mackenzie King pour les libéraux et Meighen pour les conservateurs) se retrouvent dans une organisation politique anonyme et informe complètement soumise à la sacro-sainte représentation de la reine d'Angleterre en Amérique, le gouverneur général, présenté par la mise en scène d'une manière à faire rougir Big Brother. Il n'y a que des moitiés de réalités auxquelles les analyses classiques ne s'appliquent plus; chaque solitude s'en verra déconcertée. Complétant le tout avec moult inventions loufoques et joyeusement décadentes, Rankin propose un portrait méconnaissable de son pays d'où se dégage tout de même une vérité plus profonde sur les grands courants qui l'animent et ses tensions internes difficilement réconciliables. La volonté d'uniformisation et de domination frappe de plein fouet l'idéalisme indépendantiste et en fait ressortir la violence, les étendards sont souillés et seul le drapeau de la Déception peut masquer ce qui s'est passé dans les dédales de l'Histoire et contenter les deux camps. Le changement radical est un échec, le statu quo sera de mise pour l'instant.


Au travers de tous ces tiraillements, le charme du film vient principalement de la dissonance entre ce qu'il montre et la manière dont il le montre. Devant la caméra se dévoilent l'artificialité et le minimalisme des décors qui soulignent le peu de consistance historique de la jeune nation, on découvre les touches scabreuses ajoutées aux personnages pour saper l'honorabilité de cette élite de seconde zone. Pourtant, cette même caméra présente tout cela dans une adhésion religieuse aux codes du cinéma de propagande, posant sarcastiquement sur son sujet le regard admiratif que le Canada voudrait poser sincèrement sur lui-même. Il faut croire que l'image gentillette que le pays tente de projeter aujourd'hui n'a pas des racines bien profondes, ce que Rankin nous rappelle par ce savoureux voyage dans notre histoire. Un film à voir.


(Je savais pas où caser ça, mais c'est la deuxième fois, après le roman La Chaise du maréchal ferrant de Jacques Ferron, que je vois Mackenzie King présenté comme un sale petit névrosé entretenant une drôle de relation avec sa mère. Il y a anguille sous roche.)

Tony_Redford
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le 8 sept. 2020

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Tony_Redford

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