Il s'agit d'un travail érigé dans le cadre du cours Analyse filmique, pour Mr. Therrien à l'Université de Montréal. Ce dernier consiste en l'étude sémantique du film Le 20eme Siècle.


Le 20ième Siècle est un film de Matthew Rankin sortie en 2019. Ce dernier raconte une version fantasmée et librement inspirée du parcours de William Lyon Mackenzie King avant de devenir le 10ième premier ministre du Canada, de 1935 à 1948.
Grâce à des visuels prononcés, le film aborde de nombreuses thématiques de façon métaphorique, dépeignant son personnage par plusieurs détails troublants. Bien que le spectateur devine l’affabulation dans ce qu’il regarde, il n’en reste pas moins certaines traces de vérités, comme un conte cherchant à dépeindre l’époque des rois et des reines.
[...]


Lors du premier chapitre du film, une scène représente Mackenzie King rentrant chez sa mère, perturbé, juste après avoir vu une paire de chaussure trainant dans le couloir de l’immeuble Roxboro. La vision des chaussures est alors mise en parallèle avec l’image d’un cactus immense et droit, entrecoupé d’image de Mackenzie en proie à quelques pulsions intérieurs. La métaphore du cactus est ici assez claire, encore plus explicité lors de certaines séquences de masturbation, comme étant une allégorie des pulsions sexuels du candidat. L’excitation envers les chaussures peut s’expliquer comme un fétichisme podophile, soit l’attirance envers les pieds, étant potentiellement un détail véridique de la vie du premier ministre canadien. Les pulsions de Mackenzie King sont stoppées par le rappel d’un avertissement du Docteur Milton Wakefield, tendant un petit cactus en pot au candidat. Le cactus pique, provoque de la douleur. Il semble faire le mal. Plus tard, une séquence rappelant l’esthétique des films de Jean-Pierre Jeunet et Bertrand Mandico, met en scène le docteur en pleine expérience sur Mackenzie King, avec un caleçon anti-érection. La sexualité est vu comme une humiliation, le docteur cherchant l’élévation de son cobaye par sa chasteté. Une élévation qui amènerait son personnage principal à respecter son devoir en évitant les frivolités. Cependant, en s’éloignant de la sexualité, il s’éloigne aussi de l’amour, sentiment qui amène pourtant à l’élévation. L’amour est souvent humilité dans le film, s’éloignant des dignes fonctions d’un premier ministre. C’est pour cela que Mackenzie King doit refouler ses pulsions, et quitter Nurse Lapointe. Il s’agit cependant du point de vue souhaité par Lord Rufo et le Docteur Milton, le point de vue souhaité par la bienséance.


[...]


Vers la fin du film, un carton indique « Le nouveau premier ministre ». C’est le grand dénouement. Qui de la « déception » de Lord Muto à Toronto ou de la « tendresse » de Joseph-Israël Tarte à Québec gagnera la gouvernance du Canada ? Le discours politique du film explicite très clairement les deux sèmes opposés que sont la déception et la tendresse, que l’on pourrait remplacer par l’espoir. Le principe politique de la déception est d’éviter ce ressenti en supprimant tout espoir. Pourtant, le film cherche de l’espoir, par une mise en scène grandiloquente, au montage rappelant l’effervescence des films de Sergei Eisenstein. Le parti de la « tendresse » forme son espoir dans la communauté. Cependant, lors de l’attente du drapeau, à la fin du film, le camp de la « tendresse » est représenté par un leader et ses partisans, ce qui s’éloigne un peu de l’idée du réalisateur à l’idéologie communiste (bien que l’idéologie russe possédai elle aussi un dirigeant, les films d’Eisenstein expose que très rarement des leaders). Du côté de la « déception », seul les réactions des hauts gradés sont représentés à la fin du film. La déception peut donc représenter l’individualisme, la royauté, alors que la tendresse représente le collectif, le peuple. Tout au long du film, la tendresse semble rattachée à l’élévation. Mais lorsque l’ancien drapeau canadien est hissé, la déception peut se lire sur le visage des partisans de Jean-Israël Tarte, montrant que même l’espoir est faillible. On pourrait alors voir en la déception le sème de l’élévation. Et cela est surement le point de vue de Mackenzie King, ayant atteint son but à la fin du film. Pourtant, tout le film le présente s’attachant aux partisans de la « tendresse », comme Ruby Elliott, Henry Albert Harper ou encore Nurse Lapointe. C’est auprès d’eux qu’il semble le plus se rapprocher d’une forme d’élévation, vivant amour et amitié. A la fin du film, Mackenzie King retourne près de sa mère, entrant dans son lit, similaire à une cage. Leur relation malsaine nous laisse comprendre que, malgré sa réussite, le nouveau premier ministre n’est qu’humilié. Ainsi, les sèmes de l’élévation et de l’humiliation semblent varier en fonction du point de vue des personnages et de leurs idéologies politiques.


Le film possède une forme pour le moins original. Très proche du cinéma des années 20, Le 20eme Siècle peut être comparé au film Le Cabinet du Docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, avec ses décors surréalistes, factices et imaginaires. [...] Toute l’histoire se concentre sur le point de vue de William Lyon Mackenzie King, obnubilé par la réussite au point qu’il en oublie la réalité. Voir qu’il ne la connait absolument pas. La séquence d’introduction explicite bien cette idée. Le personnage principal se trouve au chevet de la petite Charlotte, atteinte de la tuberculose. Le futur premier ministre fait plusieurs promesses à sa jeune admiratrice, des promesses sans fondement et impossibles à réaliser. Il est vite déconcentré par sa rencontre avec Ruby Elliott, oubliant la petite fille, entrain de cracher du sang de manière abondante et surréaliste. Mackenzie King détourne le regard, laissant comme seul aide à la petite Charlotte, un mouchoir en tissu, symbole de richesse, mais totalement inutile face à la réalité de la maladie. Par la suite, le personnage discute avec Ruby Elliott. On comprend rapidement à quelle point il est détaché de la réalité, n’ayant jamais écouté de musique. Tout ce qu’il sait, il l’a appris à travers des livres. Il vit dans un rêve. Ainsi, les décors sont conçus à partir de formes géométriques simples, ne représentant que très brièvement des idées, des visions, des concepts de réalité. Québec et Toronto sont principalement bleu, laissant comprendre que tout est gelé. Vancouver est représenté par une vallée d’arbres coupés. Seul les images projetées sur certains murs viennent offrir des fragments de réalités. Il s’agit souvent de monuments ou alors de personnalités célèbres. Tout paraît plus fourni à l’intérieur, là où Mackenzie King vit, ou chez Lord Rufo, car il s’agit de sa propre réalité. Le film tend à représenter la vision que Mackenzie King se fait du Canada, le pays qu’il compte gouverner. Une vision très limité.


L’esthétique du film provient en grande partie de la vision que le premier ministre du Canada, William Lyon Mackenzie King, se faisait de son pays. Une vision détachée de la réalité, où la pauvreté est effacée derrière des traits simplifiés. L’ensemble des sèmes déterminés au cours de l’analyse semble s’élever au profit de la royauté, car le film reste du point de vue de Mackenzie King. Cependant, à aucun moment sa réussite n’est montrée comme une élévation. Le retour dans les bras de sa mère ainsi que la déception éprouvée par le parti de la « tendresse » ne fait qu’évoquer l’humiliation de son personnage, un premier ministre ayant déçu son peuple. Pour un public européen, dont je fais partie, le film présente l’image d’une personne étant passé à côté de son véritable devoir, floué par ses pairs.

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le 8 févr. 2022

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