A la fin du générique, Edgar Wright remercie Quentin Tarantino pour sa recommandation de titre, provenant de la chanson de Dave Dee Dozy Beaky Mick & Tich (oui, ce groupe existe): cela n'a rien d'anecdotique, tant les réalisateurs ont en commun: leur grande cinéphilie, leurs goûts pour la musique des années 60 et 70, et surtout, dans la même continuité, leurs références, citations, dans une forme d'hommage pour Tarantino, sous un ton parodique chez Wright. Cependant, si tous deux ont maintes fois pu être accusés ainsi de plagiat ou de paresse intellectuelle, Tarantino s'affranchit rapidement de ses critiques par la singularité de son univers. Une fois passé le patchwork brouillon, QT parvient à créer sa propre mythologie, comme avec Kill Bill où en partant de la figure de Bruce Lee et de La Mariée était en noir, il parvient à créer une figure iconique. Wright lui était jusqu'ici resté attaché à sa figure de pasticheur talentueux obtenu avec la trilogie Cornetto, échouant à se démarquer réellement avec Baby Driver. Last Night in Soho est alors l'opportunité enfin saisie de se détacher de l'humour et de ses références pour créer, réellement, créer quelque chose de nouveau.
Pour autant, Last Night in Soho n'est pas exempt de citations, au contraire il en est constellé. De la bande-originale sixties qui provient probablement tout droit de la playlist de Wright et rythme tout le film (jusqu'à l'absurde, comme dans la scène de la boîte de nuit, écoute-on réellement cela en boîte de nos jours?), jusqu'à l'imagerie aux couleurs acides évoquant Dario Argento et ses gialo, mais également plus récemment les trips de Nicolas Winding Refn (surtout son Neon Demon aux thématiques très proches), en passant par la citation claire de Sueurs froides dans ses tons verdâtres ou encore de Répulsion lorsque des mains sortent du mur, la liste est sans fin et Last Night in Soho s'apparente à un vaste terrain de jeu pour Edgar Wright, l'occasion d'enfin s'adonner sérieusement à l'horreur, sans zombies (ou quoique) ni lancées de vinyles tueurs, et de jouer de tous ses archétypes.
Simplement, Wright ne se satisfait pas des références: ce ne sont ni du fan-service pour cinéphiles, ni de la complaisance, ni même de la prétention à vouloir égaler les grands maîtres de l'horreur, mais des parts entière du récit. Car Éloïse, jeune styliste rêvant du Londres des années 60 et s'y voyant finalement brusquement transposé, c'est en fait Edgar lui-même, et il s'agit de se confronter au passé, ou à sa représentation nostalgique, comme Éloïse qui se rend compte progressivement de l'horreur de l'industrie du divertissement pour la femme des années 60 et est désormais prisonnière de sa cage dorée, de son double miroité. Ce n'est qu'en laissant brûler le passé, ou plutôt en le remodelant dans une forme plus moderne, qu'elle parvient à exorciser Sandy. Et ce n'est ainsi qu'en dépassant ses références que Wright obtient une forme de pur cinéma, en transformant ses citations pour obtenir des réactualisations modernes. En effet, à la place de la fin terrible, voire misogyne de Répulsion (toujours un bon film, mais perturbant à regarder dans son portrait d'une femme paranoïaque par Polanski), Wright opte pour davantage de compassion pour Éloïse et Sandy, sœurs dans l'âme victimes de leurs ambitions détruites, à la place de la froideur de Neon Demon, il rajoute une certaine sympathie grâce à Thomasin McKenzie parfaite dans le rôle de la naïve girl from next door, opposé à la figure de femme fatale qu'est Anya Taylor-Joy. De la même manière, à la place de prendre le point de vue du détective de Sueurs froides, il prend une posture plus féminine: on connaît la fameuse scène, bien analysée dans le livre de François Truffaut sur Hitchcock, dans laquelle Stewart se plaît perversement à recréer l'image de Madeleine avec Judy, et bien ici c'est Éloïse qui se métamorphose en Sandy pour aguicher. Ainsi, jusqu'à la fin, Wright détourne les attentes, tord ses références, et créer son Soho, de la même manière que Tarantino créa son Hollywood, bande-son incluse, dans Once Upon a Time..., tout en plongeant progressivement son film dans une forme de paranoïa jusqu'à un violent trip sous acide fatal révélant la part sombre de la décennie.
Wright se détache ainsi de ses références, mais surtout fait preuve d'une grande maîtrise de son œuvre. Les effets sont moins outranciers que précédemment (du fait bien sûr du sérieux qu'appelle le film), la mise en scène excellemment déployée, et la reconstitution est aussi impressionnante, immersive, que celle de Once Upon a Time... in Hollywood, pour continuer la comparaison. A ce titre, la découverte des années 60 par Éloïse est un vrai moment de cinéma fascinant, étouffant presque le spectateur par ses détails foisonnant et sa soudaine musique assourdissante.
Parfois, cela devient même tape-à-l’œil, comme clairement la séquence de la danse, mais le soufflé ne retombe jamais, même avec le lieu commun du miroir comme représentation et barrière du double, lieu commun qu'il intègre intelligemment dans certaines scènes clés du métrage, et notamment avec sa photographie psychédélique, qui, au-delà d'être belle ou de simplement citer de l'Argento, joue des couleurs primaires, le rouge, le vert et le bleu: le vert convie comme dans Sueurs froides le passé, associé à Sandy, mais un passé annonçant la répulsion quand Éloïse commence à rejeter son alter ego, le rouge, sinon simplement bien sûr la couleur de la passion et de la passion fatale, celle d'un passé bien plus idéalisé puisque c'est la couleur qui berce Éloïse vers son rêve, et de la beauté, et le bleu, lui, montre une froide distance qui domine la fin du long-métrage. Au-delà de ces symboliques de couleurs assez simples, Wright surtout les mêle pour créer l'image fantasmée de Sandy qui se détériore au fil du long-métrage en reflet de celle d’Éloïse.
Last Night in Soho est ainsi l’œuvre qui marque un changement dans la filmographie d'Edgar Wright, où il abandonne la comédie pour l'horreur (avec une pointe d'humour cependant de temps en temps tout de même), les références écrasantes pour la reformulation et la véritable création, non sans défauts ou lourdeur parfois (la figure fantomatique de la mère), mais avec une certaine maîtrise de son œuvre et particulièrement de sa mise en scène.