Tout d'abord :

J'ai du mal à croire qu'il s'est passé 3h de projection à la sortie de ce film. Ce métrage est si riche et si simple en même temps, que je ne sais pas par où commencer. Peut-être par cette bouche d'Adèle, si obsédante, entêtante. Peut-être par le fait que le film n'aligne aucune fausse note, ni dans la forme, ni dans le fond. Peut-être aussi par cet aspect vrai de l'image et du son. Profitons-en pour dire que les points de vue sonore sont les meilleurs que j'ai pu voir dans le cinéma français depuis longtemps.

Commençons vraiment :

Adèle est une enfant de la plèbe, tourmentée par des désirs qu’elle ne comprend pas, mais qui se révéleront facile à rassasier. En revanche, Emma, sa compagne est une enfant de l'aristocratie intellectuelle, celle qui croit détenir tout le mérite de génération de culture. Celle qui oublie que la culture c'est transmise d'une génération à une autre jusqu’à arriver à elle.

Beaucoup ont parlé sur ce film du rapport entre classes sociales, d'autres ont parlé de sexe, d'adolescence et l'ont très bien fait. Moi, j'aimerais vous parler d'un autre thème du cinéma de Kechiche : l'ambition. Car c'est bien l'ambition qui ronge le couple d'Adèle et Emma. Cette ambition qui les éloigne, qui n'est pas partagée, qui ne prend pas la même forme. Cette ambition qui fait penser que tout est possible, même en amour.

L'esquive avait déjà un parfum d'ambition, caché, qui marquait les pages du scénario, et la façon dont les personnages relevaient le menton à la fin de leur réplique. L'ambition d'Adèle : être différente, surtout ne pas reproduire le schéma initial, ne pas ressembler à ses parents. Plus elle fuie cette vie, plus cette vie la rattrape.

Adèle,
cette envie d'être aimée par la différence.

Emma c'est tout le contraire. Elle est dans une logique de contrôle de son ambition. Elle lui trouve une manifestation grâce à l'art. Elle ne fait plus de l'art par volonté ou soulagement, mais pour la complexité que ça fait vivre en elle. Mais au fond, elle rêve de pureté, voilà pourquoi le jouet Adèle lui plait tellement, la distrait. Jusqu'à un certain point, où l'ambition est plus grande que le rêve de pureté. Où l'objet de pureté est contrôlé, plaqué à jamais sur une toile, avec un corps de peinture.

Comment Kechiche nous le fait comprendre ?
- Regard de prédateur de Léa Sédoux
- Regard de proie (type vache vide d'Adèle)
- Esthétique des corps

Les scènes de sexe représentent la fusion parfaite entre sa proie et son chausseur. Ce sont les pendants d'une même balance, peints sur un tableau complet. Lorsqu'on sort de ces scènes, les mots sont lourds, flottent dans l'air sans trouver de sens. Ils restent malhabiles, de sorte que l’incompréhension perdure entre les deux personnages, bien que le désir instinctif, irréfléchi, purement animal, soit-là.

Et la technique ?

La lumière est simple, mais efficace, sans contre-sens. Elle évoque la notion de pureté sans en rajouter. Le travail du son est également très réussi. Les points de vue sonores sont fouillés, jamais exagérés, et très utiles à la limpidité de la compréhension. Les bruitages sont essentiels, pas forcément gênants (ou alors allez consulter un psy, car dans la réalité, c'est plutôt ces bruit-là qu'on entend).

Et le bémol ?

A force de chercher la perfection, Kechiche en oublie la dimension spectaculaire de ses oeuvres. Si vous vous êtes fait chier pendant le film, c'est probablement pour cette raison.
BorisKrompholtz
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le 10 nov. 2013

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Bob Bob

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