Comment exprimer ce qu'on ressent face à un film qui fait directement interagir nos sens, nous remémorer des souvenirs et des émotions, en suivant au plus près l'histoire d'une fille des plus banale ?

Au début, Adèle est une lycéenne comme les autres. Elle a des amis assez "superficielles" qui s'échangent leurs histoires de cul, une famille confie, un ami gay envers qui elle se confie...

Alors qu'elle marche dans la rue pour aller rencontrer une possible conquête, elle croise le chemin d'un joueur de hang.
Sa musique onirique et voluptueuse emplit tout le paysage. Au loin, elle voit une mystérieuse fille aux cheveux bleus. La musique retentit toujours et la scène devient magique. On commence à ressentir quelque chose d'inexprimable. Les deux filles s'échangent un premier regard, instant magnifique. Le film est lancé. Sa vie est lancée. Le spectateur est lancé. On sait alors qu'Adèle ne pourra plus être heureuse autrement qu'avec Emma.

Et on commence alors à se rapprocher du personnage d'Adèle, à le comprendre, puis à tout simplement être dans sa peau. Dorénavant, tous ces gros plans qui peuvent paraître frustrant et oppressants nous font ressentir avec une implacable sincérité et précision la plus subtile de ses émotions. On se sentira rempli et épanoui quand elle contemplera le regard et la bouche d'Emma sur l'herbe. On sentira le contact des lèvres d'Emma sur nos lèvres lors du premier baiser magistral. On ressentira toute la chaleur humaine et bestiale présente entre ces deux corps pendant les longues scènes de sexe fantasmagoriques. Petit à petit, tous les personnages secondaires deviennent inutiles, et ils disparaissent d'ailleurs tous un par un (ses copines, son ami gay, ses parents...). On a notre regard tourné vers la seule chose importante aux yeux d'Adèle, son amour passionnel envers Emma.
Il est donc normal qu'on soit désemparés lorsque cette dernière lui demande de faire ses valises et de se casser. On pleure pour Adèle, on a envie de la chérir, de lui dire que tout se passera bien, même si on sait pertinemment qu'il n'y a aucune issue de secours possible.

Comment ce couple pourrait fonctionner, tout les opposent : Emma l'artiste vient d'un milieu aisé, Adèle future instit vient de la classe populaire. Elles n'ont pas eu la même éducation, et leur amour passionnel n'arrive pas toujours à prendre le dessus sur le cadre dans lequel elles vivent. Certes, l'écart entre ces deux milieux socio-culturels marqué semble se rapprocher du cliché (huîtres / pâtes bolo' ; discussions artistiques / discussions anodine de la vie courante) mais il n'empêche qu'il reste un handicap important dans n'importe quelle relation humaine. De plus, quand Adèle fait tout son possible pour briser ces barrières, la réalité des choses reprend le pas sur ses volontés illusoires. Et ça fait mal.
Alors, plus le film avance, plus on devient Adèle, et plus on a besoin de son bonheur. Donc se dire que quoi qu'elle fasse, elle restera impuissante, on ne peut que souffrir.

Cette souffrance est parfaitement traduite par le fantasme de la couleur bleue.
Au départ, elle est présente sur les cheveux d'Emma, lorsque leur relation naissait, puis montait jusqu'à son apogée. Puis elles grandissent et leur relation évolue : Emma se déteint les cheveux. Mais comment Adèle peut-elle combler le manque de cet amour qui lui a donné tant de bonheur ? Petit à petit, le bleu va se propager tout autour d'Adèle, comme si ce fantasme prenait le dessus sur sa vie jusqu'à la hanter complètement : pendant la soirée, avant leur dispute, dans la classe de CP, dans le café lors de leurs retrouvailles...
Cette couleur bleue ne la quitte plus, mais elle reste étrangère. Elle ne la retrouvera plus en elle.
A moins d'intégrer pleinement ce bleu et devenir soi même fantasme d'un d'autre pourrait changer sa vie...

La Vie d'Adèle n'est pas une histoire d'amour. C'est "l'amour", qui s'accroche à toi pendant trois heures et qui ne veut plus te lâcher...
yaya-dc
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2013, Meilleures scènes de films sortis en 2013, Les plus belles histoires d'amour au cinéma et Les meilleurs films des années 2010

Créée

le 17 oct. 2013

Critique lue 685 fois

7 j'aime

yaya-dc

Écrit par

Critique lue 685 fois

7

D'autres avis sur La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2

La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
OEHT
10

Tomber amoureux

Une fille sort de chez elle au petit matin, s'éloigne dans la rue en remontant son pantalon puis se met à courir pour attraper son bus. Dans le train qui la mène au lycée, elle s'endort et nous...

Par

le 9 oct. 2013

240 j'aime

38

La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
guyness
5

Terre Adélie

Alors, je précise d’emblée que pour pouvoir apprécier la vie d’Adèle, il faut pouvoir mettre de côté deux ou trois détails qui pourraient agacer: le fait que sur près de 30 personnes qui ingurgitent...

le 19 févr. 2014

157 j'aime

29

Du même critique

Hurry Up, We’re Dreaming
yaya-dc
9

I want to be the king of my own land

Il était une fois une jeune fille convaincue qu'essayer de comprendre le monde était futile et bien trop compliqué. En effet, à quoi bon chercher quand il suffit d'imaginer ? Alors elle a crée son...

le 4 janv. 2014

23 j'aime

1

Illuminations
yaya-dc
10

Le dernier métro

"Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.)" Barbare Dans certaines situations les mots ne peuvent retransmettre ne serait-ce que la plus...

le 8 févr. 2014

15 j'aime