La Reine des Neiges
6.1
La Reine des Neiges

Long-métrage d'animation de Chris Buck et Jennifer Lee (2013)

À l'instar de ce bon Mike Öpuvty, c'est toujours un crève-cœur que de mettre une mauvaise note à un film d'animation. Je suis un amateur devant l'éternel de ce genre permettant des fantaisies sans limite, du moins jusqu'à ce que la technique ne produise des images de synthèse donnant l'illusion que des acteurs humains accomplissent des prouesses improbables.
Tout cela pour dire que j'aime les horizons qu'ouvrent les univers dessinés, j'aime la communion parfois rendue possible entre les jeunes spectateurs et leurs aînés au travers d'un seul et même film. La douleur n'en est que plus vive lorsque ces atouts sont ignorés, sous-exploités voire méprisés.
Frozen est à Disney ce que Rebelle fût à Pixar. La souris hollywoodienne a subi un long passage à vide après Kuzco, mais a repris du poil de la bête avec Volt et les métrages suivants. Je n'ai pas vu Winnie (j'ai beaucoup aimé le dessin animé étant enfant, l'adaptation m'effraie je dois l'avouer) mais La Princesse et la grenouille constitue pour moi un retour heureux à l'animation "traditionnelle" (modulo l'outil informatique, en tout cas en 2D), Raiponce est l'incarnation moderne du conte avec une princesse que l'on n'espérait guère voir un jour (même si non dénué de défauts), et Les mondes de Ralph m'a ravi, farci de références et d'un humour décalé, là encore inattendu pour le studio à mon sens.


La bande-annonce de Frozen m'avait peu convaincu, c'est un euphémisme, mais je voulais laisser le bénéfice du doute à Mickey après nos derniers rendez-vous. Je mettais ses errements sur le compte de la crise de la soixantaine, voyez-vous.
Malheureusement, le pressentiment était même en dessous de la réalité.
De la crainte d'un film à l'animation sans âme et à l'humour pitoyable, j'ai été brutalement confronté à certaines scènes dont l'absence de magie le dispute à des bourdes techniques incompréhensibles. Que ce soit la course du renne, visiblement confiée à un stagiaire, ou les textures oscillant entre le lisse et le pas fini, je n'ai certes pas été conquis.
Incompréhensible de la part du studio qui a produit Raiponce. Inacceptable l'année où sort un Dragons 2 à la trame certes critiquable si l'on veut pinailler, mais où les visuels vous scotchent à votre siège, faisant passer pour des gribouillages d'enfants le travail déjà somptueux effectué sur le premier opus.
Très mauvais point sur cet aspect purement graphique.


L'histoire et la narration ?
On me pardonnera l'audace du parallèle, mais ayant vu World War Z récemment, il m'a pourtant sauté à l'esprit. Une histoire décousue, où les incohérences deviennent presque acceptables face à la précipitation avec laquelle les scènes sont empilées.
Mêmes causes, mêmes effets : les personnages ne dégagent ni charisme ni empathie, on se fiche totalement de leur devenir, trop occupés que l'on est à subir des tableaux-prétextes, posés là sans le moindre souci de transitions ni de justifications.
Sauf...


LES CHANSONS !!!
Oh bordel de dieu, que j'ai souffert. J'ai une telle aversion pour les passages chantés que j'en ai fait une liste pour les films échappant à cette malédiction. Ironiquement, celle-ci est trustée par beaucoup de films d'animation, parmi eux beaucoup de Disney.
Mais ici, excusez encore une fois le langage, quel putain de calvaire. Ah oui, j'ai bien compris pourquoi ils se dépêchaient d'amener un nouveau décor à peine la scène précédente finie. POUR CASER DES CHANSONS.
Et puis alors mes enfants, y'a du niveau. Z'avez qu'à voir, ils ont même eu l'Oscar, s'il vous fallait une preuve que c'est de la merde.
Je... Enfin je sais pas quoi, donnez au moins l'impression d'en avoir quelque chose à foutre de votre histoire et de vos paroles.
"- Ah tiens ça marche pas là, y'a pas de rime.
- Pas grave Michel, t'as qu'à caser ça en passage parlé.
- Ah pas con. On va quand même pas s'emmerder à ré-écrire !"


Ce qui ne nous épargne pas les dialogues chantés inutilement.


Extrait-spoil
"- Ça y eeeeeeeest mes parents sont moooooorts, tout mon royaume me déteeeeeste parce que je suis une sorcièèèèère et ma sœur pense que je l'ai trahiiiiiie, YOUPI JE SUIS ENFIN LIIIIIIBRE !!! Libre d'être seule comme je l'ai été toute ma viiiiiie, alors que jusque là ça avait l'air de me peseeeeeeeeer... CHOUETTE CHOUETTE CHOUEEEEEEETTE !!!"


Le film n'est jamais drôle, cela rend au passage totalement inutile le side-kick du bonhomme de neige, qui n'était là que pour cela, ni assez sérieux pour donner envie de réfléchir à des thèmes pourtant puissants et universels. Dans l'ensemble, il reste en bouche un goût d'inachevé. Un film paresseux, voire bâclé si l'on veut utiliser des mots forts.
L'histoire aurait en toute franchise pu être passionnante, et l'on ne manque pas d'exemples pour savoir qu'en 2014, Disney a les moyens d'offrir mieux, que ce soit en technique pure ou en narration.
Difficile dès lors de pardonner cet écart, après une série convaincante de sorties réussies, mais l'on comprend mieux la thématique et pourquoi la sortie a été calée sur les vacances de Noël : la cible enfantine a été atteinte, tant pis pour les autres.


Conclusion-spoil
Je passe volontairement sur les multiples invraisemblances (je ne parle pas du fait que la pétasse produise de la glace avec ses doigts) : c'est un film pour enfants à la base, ne l'oublions pas. Je ne pense pas qu'ils repéreront que le renne se téléporte, que les pioches et les cordes sortent de nulle part. Je le dis sans ironie, on s'en fout un peu de ce genre de trucs dans un dessin animé. Je ne doute d'ailleurs pas qu'il marche auprès du plus jeune public.
L'arnaque est ailleurs. Mike Öpuvty -encore lui- l'a bien relevé, le film dans son ensemble repose sur un procédé scénaristique, disons pour rester poli, discutable. Le postulat que l'héroïne (qui est finalement la sœur de la sorcière) doive passer les trois quarts de la pellicule à découvrir ce que le spectateur sait déjà, parce qu'on a effacé sa mémoire dix minutes après le générique de début. Franchement c'est très sale.
Tout comme l'amoncellement de messages subtils tels que "c'est pas bien intelligent de se marier avec un inconnu le jour même où on le rencontre", ou bien encore "si tu es seule, tu vas devenir frigide" avec l'allégorie toute en finesse de la sorcière reine des glaces et du cœur glacé d'Anna. Une femme c'est fait pour se marier, sinon elle n'est pas complète et elle va dépérir. Brillant.
Mais j'ai gardé le meilleur pour la fin. Ma palme personnelle va à l'ironie suprême : le fait que, si ces abrutis de parents n'avaient pas contraint leur aînée à la réclusion, si ils l'avaient laissée s'ouvrir à l'amour fraternel, elle aurait appris à maîtriser ses pouvoirs et on n'en serait jamais arrivés là. Ils méritaient bien de crever, ces cons.
Cette prise de conscience à dix minutes du générique de fin est, croyez-m'en, plus douloureuse que tous les exils, volontaires ou contraints, de l'histoire du cinéma.

SeigneurAo

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