Personnellement j'avais connaissance, hors des centres d"accueils institutionnels pour toxicomanes, des initiatives du très médiatique et feu Père Jaouen et de son association, ainsi que certaines "maisons" de repos catholiques, mais j'étais à des années lumière d'imaginer qu'un jour cela puisse donner matière à un film et quel film !


Ma première crainte en découvrant le projet de Cédric Kahn il y a quelques mois, les préjugés ont l'âme dure, était qu'in fine on en arrive à une rédemption par la foi, grâce à elle et pour elle. Ceci n'est pas un jugement de valeur, trop respectueux de la libre pensée de chacun. Mais ce que je n'aime pas, ce sont les manipulations dogmatiques de manière générale, pire encore au cinéma (pour ne citer qu'un film, le "Silence" de Scorsese). Ce qui n'est pas du tout le cas. Et j'étais relativement serein car le réalisateur de "Bar des rails", "Roberto Succo", "Vie sauvage" ou encore "L'économie du couple" est exigeant et ses sujets "durs" réfutent tout angélisme, tout classement.


Cédric Kahn en effet s'intéresse souvent à des personages en perte d'identité, non pas sur un point de vue moral mais plutôt pour décortiquer les faits, comprendre les agissements. Du tueur en série, aux pères meurtris par un divorce, du mineur qui s'impose une famille au couple endetté, tous sont sur un point de rupture sociétale, tous sont en marge à un moment de leur vie.


Et Thomas fait partie de ceux-là. On ne sait rien de son parcours. D'où vient-il ? Qui était-il ? Ce n'est pas à proprement parler le sujet du film. Ce qui intéresse Khan c'est ce qu'il est et sera. "Ramassé" sur la chaussée après une overdose, il trouve sur son chemin Marco qui le persuade de rejoindre leur communauté. S'en suit, le processus de "décrochage" d'abord avec le sevrage, puis le rejet et petit à petit la résignation. Nous sommes là au cœur du scénario, il ne faut pas envisager le parcours de Thomas comme une rédemption (pour cela il faudrait qu'il y ait faute) mais bel et bien comme une reconstruction, pour ne pas dire construction de ce post adolescent.


La structure religieuse qui accueille ce centre évite toute tentation par son éloignement (en plein cœur de nature), le mode de vie rigoureux calqué sur la travail et la prière occupent l'esprit (discipline de vie), enfin la communauté permet de recevoir des appuis dans les moments difficiles et de confronter les expériences (amitié, famille temporaire...). La méthode est un peu radicale, elle repose sur le même cadre que n'importe quel centre de sevrage exceptée bien sur l'aspect religieux et l'absence de traitements de substitution. La personne se doit de privilégier l'élan vital contre la dépendance. D'ailleurs Cédric Kahn insiste bien sur ce fait, certains trouveront la voie par le biais de la croyance, d'autres se seront appuyés sur elle pour avancer et certains échoueront.


Humainement parlant, les aspects de la vie en communauté recréés avec intellignence sont complémentaires aux étapes que traversera Thomas, moments de tension, d'entraide, de tristesse, de joie tout y est évoqué et incite à l'empathie pour ce groupe.


Et l'empathie se décuple vis à vis de Thomas dès le premier regard à l'écran il nous cueille sans pour autant nous berner. Anthony Bajon bien évidemment y est pour beaucoup, il y a quelque chose d'inné dans son jeu (un peu comme Rod Paradot dans "La tête haute"). Sa stature imposante vient performer le personnage ficitif, renforcer la touche émotionnelle qui était déjà sur la papier. Il donne la là au film, mais aussi à la communauté. Sa force de caractère est telle qu'on le sent fonceur dans le bien comme dans le mal. Et de manière contradictoire il n'est encore qu'un enfant que l'on déstabilise assez facilement (ah cette scène magnifique avec Hanna Schygulla !).


Comme à son habitude, la mise en scène est très intense chez Kahn. Il filme juste, de manière resserée et donc efficacement. Avec Yves Cape son chef op', il apporte un soin tout particulier à la netteté des images et à une palette de couleurs feutrées où le blanc (neige, aube...) prend toute sa signification. Ainsi enveloppé, le film peut s'attarder sur les expressions des visages, tenant lieu de dialogues véritables. Le choix des décors est tout aussi pertinent "la maison" placée en cœur de montagne n'offre que peu de confort. Elle accentue l'enferment et devient de fait symbolique du travail à faire sur soi de chacun des résidents. Dans ce sens le film est particulièrement bien conçu et profite d'un bel équilibre général.


Pour autant, "La prière" n'est pas un film de performances. L'émotion qu'il dégage n'est pas fabriquée mais provoquée. Ce ne sont pas les scènes dures qui touchent l'affect (Khan d'ailleurs les réfutent comme pour celle du suicide) mais bien les conséquences induites. C'est en cela que le film est bouleversant, voire traumatisant.

Fritz_Langueur
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le 28 mars 2018

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Fritz Langueur

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