Postmodern bullshit, ou le cinéma selon Matt Reeves


« Je fonctionne à l’émotion : il faut que je puisse m’investir dans une histoire si je veux la raconter correctement. Si on m’empêche de me focaliser sur les émotions que je recherche, des différents vont éclater, inévitablement. Ajuster d’autres éléments ne me pose pas de problème tant que mon processus créatif n’est pas remis en cause. »


Si son deuxième long métrage, Cloverfield, a fait pas mal de bruit à sa sortie et constitue depuis lors un des grands jalons du cinéma post-9/11, Matt Reeves demeure encore aujourd’hui, malgré la réussite avec lequel il a repris en main la franchise reboot de La Planète des Singes initiée en 2011 par le couple de scénaristes-producteurs Rick Jaffa et Amanda Silver, un cinéaste assez peu identifié. À ceci, plusieurs raisons concourent.


En premier lieu, l’ombre que lui aura malgré lui fait un ancien camarade de promo à l’USC (University of Southern California). Cet encombrant comparse, avec lequel Matt Reeves aura travaillé pour la télé avant qu’il ne lui confie la réalisation du susmentionné kaiju eiga, c’est bien évidemment, on ne le présente plus, J.J. Abrams, prétendu héritier de Steven Spielberg que Les Cahiers du Cinéma, via un numéro spécialement consacré à son cas en 2013, auront consacré auteur à suivre et à tout particulièrement chouchouter.


Ensuite, il y a les vicissitudes d’une carrière hollywoodienne ayant connu quelques menues difficultés avant de récemment prendre son envol : la participation à l’écriture d’un Steven Seagal movie, Under Siege 2, en parallèle de ses études pour commencer (on fait ce qu’on peut pour payer son loyer, hein) ; un premier long métrage, The Pallbearer, comédie romantique avec Gwyneth Paltrow et David Schwimmer, n’ayant pas trouvé son public par la suite ; puis un premier succès sur le petit écran fait temporairement lieu de rapatriement, la série Felicity développée avec Abrams, bientôt suivie, comme un retour de bâton, d’autres séries pour leur part bien vites écourtées.


Et enfin, last but not least, il y a le tempérament particulier de Matt Reeves, personnalité humble et discrète dans un monde de fanfarons et de petits malins, et de son cinéma. Un cinéma qui, à l’image de ses singes porteurs d’humanité évoluant à rebours d’un monde voyant celle-ci disparaître, semble fonctionner à contre-courant de presque tout ce qui se fait aujourd’hui à Hollywood, que ce soit en termes de méthode de travail (le bougre s’assure de ne pas avoir à faire de compromis sur sa vision, prend son temps et soigne tout ce qu’il entreprend), d’écriture (toujours character driven et jamais dans le concept ni la distanciation ironique) ou encore de mise en scène pure (ample et intime à la fois avec pour résultat un classicisme des plus soignés et sûr de ses effets).


D’où le vilain à-peu-près qui aura consisté, sur la seule base de leurs collaborations effectives et de leur amitié d’autant plus réelle qu’elle remonte à l’enfance, à associer ce cinéaste très posé et finalement assez peu versé dans le postmoderne au très pressé pape du méta-cinéma, J.J. Abrams. Et ce alors même qu’il aurait sans doute été au moins aussi avisé de le rapprocher d’un autre de ses camarades de promo à l’USC. À savoir le tragédien James Gray, avec lequel, on le sait moins, Matt Reeves a également travaillé (à l’écriture de The Yards dont il fut aussi producteur, pour être exact). Alors bien sûr, il y a entre les travaux respectifs de ces deux grands et revendiqués admirateurs d’Apocalypse Now et du Parrain de Francis F. Coppola un fossé de taille, celui de contextes de productions et de réceptions radicalement différents.


Mais au-delà de ces questions d’ordre économique et de leurs malheureuses conséquences idéologiques (la politique des auteurs dans les arbitraires cases de laquelle l’un aura fait son nid et l’autre non), il y a aussi, outre les thématiques communes du clan et de l’héritage, un certain nombre de points de convergence entre les filmographies de ces deux new-yorkais d’origine. Car si Matt Reeves, comme en témoigne son inutile mais sincère et appliqué remake du Morse de Thomas Alfredson (Let Me In), évolue dans le domaine d’un cinéma de genre à vocation populaire, et son ami James Gray dans quelque chose de plus « Nouvel Hollywood » a priori, force est de constater qu’ils se rejoignent dans un semblable rapport au médium et au storytelling.


Pour chacun d’eux, en effet, tout dans le cinéma ne concourt fondamentalement qu’à une seule et unique chose : amener l’audience à entrer en empathie avec les figures prenant vie de l’autre côté du miroir que constitue l’écran. Et une empathie se voulant la plus fusionnelle possible, « le spectateur [devant] "devenir" l’autre, en quelque sorte », selon Matt Reeves. Soit une vision essentialiste de leur art déterminant chez l’un comme chez l’autre de ces cinéastes, d’une part, le choix délibéré d’une narration linéaire puisant dans la dramaturgie la plus classique voire « archaïque », et d’autre part, cette façon toute aussi pensée de faire du point de vue de ses personnages l’axe autour duquel s’articulera tout son projet de mise en scène.


Un projet de mise en scène qui, dès lors, a aussi pour vocation d’insuffler à chaque image ou situation scénique, à chaque visage, geste, attitude ou regard, le plus grand sentiment de naturel et d’authenticité. Parce que, toujours selon les dires de Matt Reeves, qui passe dans cette optique beaucoup de temps au tournage à discuter et tester différentes options avec ses acteurs : « quand on travaille sur un film comme celui-ci, la fantaisie doit être contenue dans un seul élément. Vous avez des singes intelligents qui parlent, donc tout le reste doit être absolument authentique, afin que le public puisse s’investir émotionnellement. »


Enfin tout ça pour dire ceci : tout ou presque étant dans La Planète des Singes une histoire de confrontation et/ou de communion de points de vue opposés, en somme de communication et de politique, c’est un peu comme si Matt Reeves, indépendamment de la présence rétrospectivement prophétique de la statue de la liberté au cœur d’une des plus célèbres scènes de Cloverfield, avait été le candidat idéal pour reprendre le glorieux flambeau autrefois allumé par Franklin J. Schaffner et ses estimés collaborateurs.


La planète des singes : machine politique


« For me, what's so exciting about the original, aside from the fact that I love that movie, and as a kid I was obsessed by those movies, is that it removes the burden of the narrative "what." We know "what" - it becomes the planet of the apes. So when you know the end of the story, the focus changes. It's no longer a story about "Oh, what happened." It becomes "How did that happen." »


Les yeux et le regard, la bouche et la parole, les oreilles et l’écoute, les mains et les gestes : ce sont là les principaux motifs visuels, thèmes et actions qui, par la récurrence de leur présence et leur tout aussi réguliers dysfonctionnements dans chacun des films de la saga (cf. le fameux pastiche des singes de la sagesse dans le premier), font son unité. Comme ci, par-delà les années et la diversité des talents plus ou moins grands ayant œuvré à ses hauts et ses bas, cette franchise était en quelque sorte le mythe de la Tour de Babel fait cinéma. Et de fait, quoi de plus approprié que le cinéma, langue universelle des images, des visages et de leurs associations/confrontations à travers le montage, pour causer langages et processus civilisateurs, ou au contraire misunderstandings tragiques et retour aux stades antérieurs ?


Que l’on prenne le film original de 1968, et la façon, muette mais ô combien loquace, dont son premier acte nous informe de la dégringolade dont sont victimes Taylor et ses compagnons d’infortune au fur et à mesure qu’ils (dés-)évoluent en terra pas si icognita que ça : 1) privés de leur moitié, la femme, et du recours à la technologie, 2) dépouillés des premiers apparats de la civilisation, emblème et vêtements, 3) contraints au mutisme, et enfin 4) faits gibiers, puis cobaye pour l’un, zombie pour l’autre et spécimen empaillé dans une sorte de muséum d’histoire naturelle pour le troisième. Autre exemple, se passant tout aussi bien des mots : ce montage sequence de Conquest of the Planet of the Apes où, littéralement guidés par le regard instructeur de César (en mode révolutionnaire tendance Black Panther Party), les singes réduits à l’esclavage par l’humanité préparent méthodiquement leur soulèvement.


Or, qu’est-ce que cette deuxième séquence si ce n’est la réponse sous forme de miroir inversé à la première ? Dans un cas, l’Homme régresse jusqu’à devenir incapable de se faire comprendre et, ce faisant, se retrouve au bout du processus bien seul et vulnérable face à ceux qui ne voient en lui qu’un animal sans poils. Dans l’autre, le Singe invente une forme de langage et avec lui le ciment d’une conscience d’espèce partageant un même destin. « Apes Together Strong », pour résumer. De là, un constat s’impose : ce schéma en miroir inversé, c’est en quelque sorte l’une des marques de fabrique de la licence La Planète des Singes. Mais là où dans le cas de la pentalogie originale, la chose s’opère exclusivement entre un film et un autre, dans la trilogie reboot (et prequel par la même occasion), la mécanique prend également place au sein même de chaque film, et se prolonge de l’un à l’autre. En clair, on y est témoin du déclin d’une espèce de façon symétrique ET parallèle à l’avènement de l’autre.


Et pour cause : du point de vue de l’histoire, le mal qui frappe cette fois-ci les uns (le virus mutant ALZ-113) est aussi et en même temps ce qui est à l’origine du brusque saut évolutif des autres. Plus que jamais, et comme le souligne la façon dont leurs slogans et tags respectifs se répondent, les sorts de l’Homme et du Singe sont ainsi indissociablement liés. Et par ailleurs, du début des 70’s aux années 2010, les contextes de production des franchises cinématographiques (et notamment de SF) ne sont plus du tout les mêmes. Contrairement aux films originaux qui à aucun moment de leur conception n’ont été rigoureusement pensé selon un véritable schéma d’ensemble - chaque épisode répondant plutôt au succès du précédent sur le mode de l’improvisation, et à moitié prix ! -, ceux des années 2010 forment eux un vrai tout. Lequel doit sa cohérence au choix maintenu sur chacun des trois épisodes d’axer leurs récits respectifs dans la lignée d’une seule et même colonne vertébrale, celle formée par le parcours de César, autour duquel tout autre élément se trouve in fine comme satellisé.


Bref, on le voit, La Planète des Singes est une histoire de communication jusque dans la façon dont son univers cinématographique, des plus hétérogènes pour ne pas dire parfois franchement bordélique, se sera construit. Le dialogue intertextuel y étant de fait langage commun. Quant à l’autre des éléments faisant suture là où il y a ruptures, c’est bien sûr, on y revient, celui que constitue la régulière mise en scène de toutes ses formes de langages évoquées plus haut. Aussi, que l’on s’intéresse maintenant plus spécifiquement aux films de Rupert Wyatt et Matt Reeves. Peut-être plus encore que dans les épisodes précédents, la communication, la politique et leur continuation par d’autres moyens s’y révèlent en effet de véritables enjeux dramaturgiques et cinématographiques. Comment ? Entre autres par l’inscription au cœur des projets de mise en scène des deux cinéastes d’une véritable économie du geste et de la parole. Celle-ci se prolongeant sur la durée des trois films pour nous conter, d’une certaine façon, l’histoire d’un transfert de compétence inter-espèce.


Explications : ceux qui ont suivis et se souviennent de leurs cours de biologie au lycée (chapitre phylogenèse) ne l’ignorent pas, l’une des (r)évolutions darwiniennes à l’origine de la branche des primates réside dans la main, capable de préhension et dotée de ce petit chef d’œuvre d’ingénierie qu’est le pouce opposable. Or, dans Rise…, Dawn… et War for the Planet of the Apes, tout le parcours de César et des siens semble justement pouvoir se résumer à une histoire de mains : celles qui témoignent d’une adoption « contre-nature » d’abord (le petit César agrippant le doigt de son trop humain père adoptif), celles qui permettent d’exprimer son intelligence génétiquement boostée par la suite (via le langage des signes, le dessin et, plus tard, l’écriture), puis de se rebeller contre l’Homme devenu son bourreau (en retournant contre lui sa matraque ainsi faite sceptre), de gouverner son peuple en despote éclairé (le point dressé en l’air pour le canaliser, la main ouverte ou violente pour obtenir son allégeance, les deux poings joints au-dessus de la tête en signe de solidarité) et enfin, après avoir pris les armes contre ses opposants (humains mais aussi frères simiens), de les abandonner en même temps que sa haine.


Quant à la parole, si son acquisition modeste et très progressive vient finalement parachever l’avènement de ceux qui auront dit « Non ! », ses modulations, couacs, mésusages et, en bout de course, sa régression vers le cri bestial bien vite suivie de son extinction pure et simple nous racontent pour leur part bien d’avantage la chute de l’Homme. Une histoire qui, quant à elle, commence avec la désarticulation de la pensée et des phrases musicales (cf. le piano) d’un vieil homme symboliquement atteint de la maladie d’Alzheimer. Une histoire qui se poursuit avec l’incapacité, je cite, d’un « sale con » à entendre ses congénères lui démontrer rationnellement les intentions non belliqueuses de l’ennemi supposé. Et une histoire qui s’achève enfin, dans War…, par l’enfouissement d’un groupe de soldats particulièrement teubés sous une couche de neige, écho lointain à l’évanouissement de Malcolm dans l’obscurité à la fin de Dawn… et équivalent visuel d’une condamnation au silence et à l’oubli. Bye bye History, on efface tout et on recommence.


Ainsi gestes et paroles nous racontent-ils ici la même chose, même si de façon bien plus patiente et développée, que les séquences brutes des anciens films précédemment mises en parallèle. Ou « comment », pour reprendre les mots de Matt Reeves, deux récits complémentaires n’en forment au final qu’un seul : celui consistant en la vampirisation des capacités à faire peuple d’une espèce par une autre. La première provoquant elle-même et à elle seule son absurde et presque risible déchéance, tandis que l’autre, sans le vouloir ni même le savoir, se retrouve bombardée espèce dominante de la planète. Là est en définitive le transfert de compétence…. et de pouvoir… et d’humanité. Un transfert en fait à sens unique, mais n’allant pas pour autant sans heurts ni contreparties.


Old Mister Caesar and the chains of the wise bunch


« The apes create just enough distance for the audience, that they'll engage in a story that you couldn't otherwise do on this scale anymore, because it's not what people are going to. And so it allows us to do something different, and I feel that's been the real gift of getting to be in this franchise. We could be thematically ambitious. »


Après un prologue répondant à l’épilogue de Rise… (la mappemonde), les premières images de Dawn… voyaient le cadre s’ouvrir sur le regard, le visage puis le monde de César, père fondateur d’une nouvelle Frontière sur les ruines de l’Histoire humaine. Loin de l’affrontement annoncé, s’en suivait une scène de chasse au cerf, avec les souveraines forces de la nature pour seule antagoniste. War…, quant à lui, réintroduit d’emblée l’Homme dans l’équation. Ainsi le film s’ouvre-t-il, comme en réponse à l’ouverture de Dawn… mais aussi en écho à celle de Rise…, sur une troupe d’humains à leur tour en pleine chasse, mais au Singe, cette fois-ci. Et sans mot dire, la seule scénographie (et quelques autres éléments visuels) de se faire on peut plus explicite quant aux tenants et aboutissants du conflit en cours.


L’Homme, tombé de haut depuis qu’il a dynamité sa dernière citadelle à la fin de l’épisode précédent, a troqué les derniers oripeaux de la post-civilisation contre ceux, régressifs mais étrangement rationnels puisque relevant de l’acte de guerre, de la sauvagerie. Son objectif : reprendre par tous les moyens à sa disposition cette place, qu’il pense lui être due et sans laquelle la survie lui sera bien vite des plus difficiles, au sommet de la pyramide darwinienne. Et plus de « bisou biscoto » qui tienne ! Mais seulement voilà, le Singe, pareil à un fier indien de western, y siège désormais, sur ce sommet (en l’espèce cette ligne fortifiée à l’assaut de laquelle montent les « monkey killer(s) »). Et comme on nous le répétera plus tard, l’ironie veut que ce soit l’Homme, dans son hybris, qui l'y ait installé.


Dans ses fondements mêmes, la bataille qui s’engage alors sous nos yeux a donc déjà tout de la lutte intestine, déchirante guerre fratricide faisant rage entre deux visions antagonistes d’une seule et même humanité. D’un côté, ou plutôt en bas, celle incarnée par les soldats d’un illuminé colonel aux vagues airs de Kurtz (avec quelques kilos en moins) : une humanité bâtissant des murs plutôt que des ponts. Une humanité, aussi, qui regarde le présent avec le souvenir regretté du passé et le désir aveuglant d’y revenir, quitte à en produire une caricature dégénérée et - paradoxe - fascisante donc déshumanisée. De l’autre, ou plutôt en haut, l’humanité représentée par le peuple de César, produit mutant d’une perspective d’avenir ayant trouvé un bien singulier (et velu !) chemin, certes, puisqu’il consiste en un fantasme de retour aux origines.


Mais le fait est que ces fascinants visages, hybrides de pixels et de performances d’acteurs, de morphologie simienne et d’expressions humaines trop humaines, personnifient aussi, outre le cinéma de demain (on y reviendra), ce qui constitue le plus primordial acquis darwinien de l’Homme : l’aptitude à la solidarité. Cette faculté qui, par le fait combiné de l’empathie et du langage oral, aura chez lui favorisé l’émergence de comportements tels que la pitié, l’entraide et, plus généralement, la collaboration en bonne intelligence entre membres d’une même communauté, voire même à l’échelle de l’espèce entière. En d’autres termes, il s’agit là de ce qui fait de l’Homme un animal politique, théoriquement capable de concilier, ou du moins de faire s’entendre à peu près, volontés individuelles et destinée collective. Et c’est précisément cette capacité-là que les hommes du colonel, suivant le mot d’ordre « Keep your fear for yourself, share your courage with others », semblent avoir quelque peu oubliée.


Sachant donc très exactement ce qu’il veut raconter dans cette scène (le gâchis d’un massacre entre cousins), Matt Reeves le fait notamment à travers les yeux d’un personnage tiraillé entre les deux camps : ce gorille roux évoquant le Donkey Kong de notre enfance et servant, comme autrefois certains amérindiens vis-à-vis des colons américains, d’éclaireur et de mulet aux soldats humains. Un point de vue particulier qui, immédiatement, non content de court-circuiter tout binarisme au profit d’une certaine sensation de désarroi très précisément empruntée à La Ligne rouge de Terrence Malick, attire notre regard sur la complexité d’un conflit se jouant aussi, et au moins autant qu’entre singes et hommes, en chaque belligérant. Du reste, de par la façon dont il filme et découpe par ailleurs la bataille, sans s’agiter mais plutôt avec la hauteur de vue de celui qui jamais de confond immersion et complicité, ou bien compassion et complaisance, le cinéaste révèle bientôt une autre influence fort à propos.


Un travelling latéral suivant la course d’un cavalier à travers bois, le regard sidéré façon Toshirō Mifune d’un homme tétanisé par la peur et l’horreur, la brume et la fumée, et puis toutes ces flèches, lances, pics et autres vecteurs transperçant le champ de part en part : mince alors, on jurerait des captures d’écran du cinéma d’Akira Kurosawa ! Et plus précisément Les 7 samouraïs, pour le sens du cadre et de l’espace, la façon d’y inscrire la furie des combats et la place accordée aux éléments, et Le Château de l’araignée, pour ces motifs visuels dont le graphisme, agressif, s’imprime directement sur la rétine, et aussi, par voie de conséquence, pour la conscience permanente que c’est folie que tout ceci. Alors soit ! Admettons l’idée (qui plus est renforcée par les sonorités japonisantes parsemant ici et là la bande son) que l’une des sources d’inspiration formelle de Matt Reeves pour ce prologue et quelques autres scènes de War… soit effectivement le cinéma du vénéré senseï. Mais en quoi est-ce si à propos ?


Pour deux raisons, en l’occurrence. La première, relevant de la pure forme, tient au fait que c’est pour une bonne part de cette influence-là que semblent découler toute la « justesse » et l’« efficacité » des options de mise en scène retenues ici. La seconde, relevant elle du fond, s’explique comme suit : si l’œuvre d’Akira Kurosawa est si réputée à travers le monde, c’est entre autres choses parce qu’elle forme, avec celles de John Ford et d’Anthony Mann dont les ombres paraissent également planer sur War…, l’une des grandes filmographies classiques ayant le plus régulièrement, diversement et brillamment posé le problème de l’articulation de l’individu et du collectif. Que ce soit à travers ses récits de prises de conscience socio-politiques à la première personne, ses peintures de désastres collectifs trouvant leurs origines dans la folie d’un seul, ou encore à travers la complexité des rapports liant toujours chez lui puissants et petites gens, l’auteur de Vivre et de Ran n’aura en effet eu de cesse, au cours de sa longue carrière, de reformuler cette même question aux fondements de toute société : comment vivre ensemble ?


Or, il se trouve que cette même question - et ça fait un moment qu’on tourne autour - est justement au centre de ce nouveau triptyque La Planète des Singes, et tout particulièrement de son dernier volet. Dans Rise…, dont la structure était déjà bien avant War… calquée sur celle du récit biblique de l’Exode (avec la scène du Golden Gate Bridge en guise de traversée de la Mer Rouge par exemple), il était question de la naissance d’un leader, quelque part entre Moïse et Spartacus, et de la formation en même temps que la libération de son peuple. Dans Dawn…, tout l’enjeux pour l’ancien révolutionnaire ayant entre temps évolué vers une stature plus lincolnienne était de maintenir l’union de ce peuple dans l’adversité. Et ce au risque de se voir enfreindre sa propre loi (« Apes Not Kill Apes ») avant de se voir malgré soi endosser la peau de l’imperator. Et dans War…, enfin, il s’agit, dans un contexte de guerre, d’exode renouvelé et face aux véritables poisons sociaux que constituent la pulsion vengeresse et la haine de l’Autre, d’éprouver une ultime fois le lien unissant ce leader et son peuple. Comment alors le film procède-t-il ?


Fort logiquement, Matt Reeves et son co-scénariste Mark Bomback choisissent après le drame à l’origine de son conflit intérieur (l’assassinat de sa femme et de son fils aîné) de séparer César de sa communauté. Et pour ce faire recourent-ils avec pertinence à une imagerie et une rythmique typique du western, genre par excellence de l’individu mis seul face au reste du monde. Rappelant lointainement les personnages d’enragés campés par James Stewart dans quelques-uns des films d’Anthony Mann, César, mû par une haine le rapprochant de Koba au point que le shakespearien spectre de celui-ci vienne le hanter, s’égare et se marginalise donc un temps - sa traversée du désert en quelque sorte. Puis cet égarement même fini par le ramener vers les siens et, face au spectacle de leur triste sort (réduits en esclavage), le conduit à mesurer sa propre peine à la leur, à compatir avec eux, et même à se faire leur martyr pour finalement - chose assez inédite pour un martyr - se voir sauvé par eux.


Ainsi, avec pour discrètes et muettes intermédiaires une guenon prénommée Lake et une humaine, la petite Nova, à l’origine d’une très belle scène de sauvetages en cascade, César réapprend-t-il le sens des mots « Apes Together Strong ». Soit une belle de leçon de démocratie en forme de don et contre-don. Mais aussi une façon de boucler la boucle puisque, on le comprend, César ne fait là que recevoir de ses congénères ce que lui avait autrefois fait pour eux dans Rise... La chaîne simienne, dégrippée, peut alors de nouveau se former et, dans une formidable séquence d’évasion montée sur le non moins magnifique Planet of the Escapes d’un très inspiré Michael Giacchino, se déchaîner.


Et cependant, faut-il encore pour César faire taire cette rage que l’Homme aura inoculée en lui comme en échange de la grippe simienne.


Two crossfades and an old rag doll to link them all


« I wanted to push us into the realm of the mythic. I felt like this was the thing that was going to create the legend of what Caesar would be to future generations of apes. That if he was going to be a seminal figure in their history, this had to be a Biblical epic - the final test that he must pass to have this mythic ascension into the pantheon of apes. »


Francis F. Coppola, Terrence Malick, Akira Kurosawa, John Ford, Anthony Mann, mais aussi Les Dix commandements, Les Sentiers de la gloire, Ben-Hur, Le Pont de la rivière Kwaï, Josey Wales hors-la-loi ainsi que bien d’autres grands classiques, et puis encore, ne les oublions pas, chacun des 5 épisodes originaux de La Planète des Singes : une chose est sûre, consciemment ou non, Matt Reeves et Mark Bomback affichent de belles références. De quoi donner à War… la saveur d’un bon vieux morceau de péloche comme Hollywood n’en produit plus, ou si peu. Mais encore fallait-il les digérer, toutes ses références, et en sortir autre chose qu’un beau catalogue de fanboy certes utile pour prévenir les troubles de la mémoire mais manquant singulièrement de chair et d’âme. Or, c’est justement là que les deux compères se montrent d’une belle habileté dans l’art, non pas de la bête citation pour la citation (à laquelle ils cèdent somme toute assez peu), mais du remploi (au sens ou l’entendent les historiens de l’art) et du tressage (en termes d’écriture).


Un exemple parmi d’autres : celui de la poupée. Dans le film original écrit par Rod Serling, Michael Wilson et John T. Kelley (ce dernier non crédité), c’était un artefact dont la parole qui s’en échappait soudain (un « Maman » comme sorti d’outre-tombe) venait à la surprise générale démontrer l’ancienne supériorité de l’Homme sur le Singe. Dans War…, ce simple objet cette fois significativement muet fait tout à la fois office de trait d’union et de séparation entre les deux cousins. Voyez plutôt : d’abord utilisé dans un très beau champ-contrechamp entre Maurice et Nova pour palier à la « langue morte » de la fillette, il devient finalement l’agent de la condamnation au silence du colonel. Mais une condamnation au silence qui, dans un autre champ-contrechamp rimant avec le premier, fait dans le même temps naître la pitié dans le regard de César. Et pas n’importe quelle pitié puisque c’est elle qui, là où un Ethan Edwards se serait exclamé « why don’t you finish the job ? » avant d’effectivement finir le travail, parvient enfin à faire taire la rage et la haine dans l’esprit du vieux singe, qui achève ainsi sa mise à l’épreuve en retrouvant, restaurée au complet, son exceptionnelle aptitude à l’empathie.


L’art du remploi et du tressage est donc là : dans la façon dont tout un tissu de sens, véritable entrelacs d’écriture visuelle et de dialogue intertextuel à la portée insoupçonnée au premier coup d’œil, vient se nouer autour de cette petite poupée. Un objet a priori anodin mais qui, du film de 1968 à celui de 2017, passe pour ainsi dire de révélateur à fossoyeur des capacités « humaines » de l’Homme, rien que ça ! Aussi, la manière dont procèdent ici les auteurs de War… en rappelle-t-elle une autre : celle de George Lucas désignant à la fin de La Revanche des Sith R2-D2 comme seul véritable gardien de la mémoire de sa saga. Celui qui aura été le témoin de tout et, contrairement à son comparse C-3PO, celui qui aura tout conservé aux tréfonds de ses circuits rouillés. Or, c’est là exactement ce dont il s’agit de faire ici aussi, mais avec en lieu et place du droïde la poupée. Celle-ci étant ainsi rétrospectivement - prequel oblige - consacrée témoin discret mais pas moins déterminant de la grande, longue et, au fond, très ironique Histoire de la saga La Planète des Singes.


Et comme si cela ne suffisait pas, il aura en outre fallu, on l’a vu, que Matt Reeves et Mark Bomback fassent de ce remploi la clé de voûte sur laquelle trois des principales lignes de force de War… (la relation Maurice/Nova, le destin de l’Homme et la guerre intérieure de César) viennent à un moment ou un autre s’appuyer. Autrement dit, la pierre angulaire sans laquelle toute l’architecture scénaristique de l’épisode ne saurait tenir, son payoff ultime. Statut qui en dit long, d’une part, sur l’estime dans laquelle le cinéaste et son co-scénariste tiennent ce véritable mythe de l’Histoire du cinéma et de la pop culture qu’est le film de Franklin J. Schaffner. Mais aussi, d’autre part et plus encore, sur le soin avec lequel, durant l’année entière passée à échanger leurs idées et développer leur histoire, ils auront pensé et repensé chacune de leurs influences, et quelques soient leurs origines (internes ou externes à la saga, cinématographiques ou mythologiques). Tout l’enjeux étant qu’à l’arrivée elles servent au mieux le pouvoir évocateur de leur propre mythe en cours d’édification.


Parce qu’au fond, chacun le sait (ou pas), un mythe, ancien ou moderne, n’est jamais que le produit à un instant T de l’entrée en collision de trois éléments. Premièrement : le bouillonnant terreau que constitue l’inconscient collectif, matrice ayant agrégée au cours des âges la plupart si ce n’est la totalité des structures et archétypes dont sont fait les mythes - ce qui remonte sans doute à bien avant même qu’homo sapiens ait un jour ressenti le besoin de raconter des histoires à ses congénères. Deuxièmement : la perpétuelle reformulation des mythes dit « classiques » (mésopotamiens, grecs, bibliques, américains, hollywoodiens…) au sein de toutes les formes d’art et autres médias que l’Homme ait inventé (peintures rupestres, tradition orale, sculpture, littérature, musique, bande-dessinée, cinéma, jeux-vidéos…). Et enfin, troisièmement : les quelques questions et impressions plus ou moins originales et spécifiques à l’esprit du temps voyant le « nouveau » mythe être formulé, c’est-à-dire le zeitgeist (ici notamment travaillé par une angoisse diffuse face à la perspective d’une sorte de catastrophe à échelle planétaire et prenant différents visages).


De là faut-il comprendre le classicisme assumé et même revendiqué de War… Un film où l’écriture est toute entière dédiée aux personnages, et plus particulièrement aux singes dont on adopte ici le point de vue à l’exclusion quasi complète de tout autre (seules exceptions humaines : Nova, le colonel et le preacher). Résultat : une troupe de personnages secondaires tous plus attachants les uns que les autres et dont la somme fait peuple. Pourquoi ? Parce que chacun, non content d’être pleinement incarné à l’image, à droit à sa personnalité propre ainsi qu’à un arc individuel plus ou moins esquissé. Comme par exemple le truculent Bad Ape, dont tout le parcours consiste à métaphoriquement et littéralement « sortir de son trou » et rejoindre ses semblables. Ou bien encore le Donkey Kong déjà cité qui, dans une scène répondant à sa première apparition, trouvera finalement une parcelle de César à sauver en lui… et avec elle César lui-même. Deux trajectoires singulières donc, mais qui, en s’ajoutant aux autres en orbite autour de César, participent de celle, collective, définissant une communauté à son tour pleinement incarnée.


Alors qu’importent ces quelques dialogues inutiles/surécrits mis dans le bouche de César, ou le relatif manque de finesse avec lequel est reprise l’une des plus emblématiques scènes du Livre de l’Exode déjà mainte fois transposée à l’écran (l’accident sur le chantier). Qu’importent aussi l’archi-classicisme des fondus enchaînés et l’imagerie un peu trop explicitement biblique dont use l’épilogue. Car cette figure de style et cette imagerie-là font sens. L’idée prime sur ses origines, et c’est celle qui consiste à confondre en une seule et même entité l’image du corps du patriarche et celle de son peuple s’installant sur sa nouvelle Terre Promise. L’un incarnant l’autre selon la théorie des deux corps du roi. Lequel roi, pour qui Michael Giacchino fait sonner le glas, peut dès lors « monumentalement » s’affaisser au pieds d’un arbre sans âge, nombril de ce nouveau monde, fin et commencement de toute cette histoire, avec l’assurance qu’un jour prochain le petit Cornelius, à la façon d’un jeune Monsieur Lincoln, viendra s’y abreuver de sagesse. Sic semper imperatoribus.


Snif, c’est beau… et si fordien qu’on en oublierait presque que tout ceci procède d’une sorte de mariage des contraires.


As I walk to the uncanny valley of virtualive cinema and humanapes


« Je suis au croisement entre un projet extrêmement commercial et une tragédie classique et rigoureuse. J’aime l’idée que ces esthétiques se confrontent. Nous utilisons la technologie la plus avancée qui soit pour raconter une histoire incroyablement classique, presque traditionnelle. »


« Uncanny », ou « étrange » dans sa fadasse traduction française : le mot est utilisé par Matt Reeves pour décrire cet entre-deux assez unique où se tient, plus encore que Rise… ou Dawn…, War for the Planet of the Apes, blockbuster estival inclassable, mix de cinéma live et virtuel tenant autant du super-western à l’ancienne que du film de guerre intimiste ou encore de la fable politique vaguement shakespearienne. Comment un truc pareil a-t-il seulement pu voir le jour à Hollywood en 2017 ? Les belles intentions d’un des plus prometteurs talents œuvrant au cœur de la machine hollywoodienne, le super deal qu’il aura passé avec l’un des derniers studios se risquant à laisser les coudées franches à quelques-uns de ses artisans, le très grand soin avec lequel le produit de cette étonnante collaboration aura été écrit : autant de facteurs qui, miraculeusement réunis, expliquent sans doute bien des choses… mais pas tout. Non. Quelque chose d’autre entre en jeux ici. Quelque chose tenant à la pure forme.


D’un côté, une grammaire visuelle et sonore très riche, exécutée avec un savoir-faire certain et une technique au poil. Mise au point et profondeur de champs, ralentis et sound design, positionnement et déplacement des acteurs dans le large espace scénique offert par le Scope, composition des cadres, fixes ou lentement glissés… : tout est pensé pour raconter visuellement et donner le sens de l’épique ou au contraire de l’intime. Les plans durent et cadrent large quand il y a interaction - façon Spielberg ou encore une fois Kurosawa - et ne se resserrent que lorsque nécessaire. Alors les visages sculptés par les clairs-obscurs du directeur photo Michael Seresin se font cartes à lire. Et l’émotion, suspendues à quelques notes de piano, leitmotiv simplissime, de jaillir. Voilà pour l’ancien, le old fashion, tout ce qui faisait le meilleur du cinéma avant l’avènement du numérique. Et ce en dépit du fait que ce rendu en apparence si « organique » (les flous notamment) est le fait d’un filmage en numérique. À savoir celui de caméras Arri Alexa 65 ayant la particularité de tendre, dans la texture même de leurs images, vers le rendu de la pellicule.


De l’autre côté, en revanche, c’est une toute autre histoire. On parle d’un film où les principaux protagonistes - donc squattant quasi tous les plans - sont des singes en CGI. On parle aussi d’un tournage en performance capture effectué en pleine nature. Technique complexe nécessitant de tourner chaque plan deux fois de suite (l’un pour la performance de l’acteur, l’autre pour le fond d’image) et à l’identique (même cadrage, mêmes mouvements d’appareil). Ce qui appelle en renfort un système de programmation des dits mouvements d’appareil. Et enfin, on parle d’un procédé de prévisualisation. Lequel, à la demande de Matt Reeves, aura dû être complété d’un système de scan en 3D des futurs sites de tournage, histoire de tester ses options de mise en scène dans une très précise simulation virtuelle des vrais environnements. Voilà donc cette fois pour le nouveau, le high tech, tout ce qui, au terme de 8 mois de tournage et d’une grosse année de postproduction, aura permis à un Matt Reeves sur les rotules de livrer une copie où singes de pixels, acteurs en live et décors naturels semblent, non seulement ne pas afficher de différences de textures, mais aussi parfaitement interagir entre eux, ainsi qu’avec les éléments et la lumière naturelle.


Une histoire de communication, La Planète des Singes et plus particulièrement War… l’est donc une énième fois, mais cette fois-là au niveau de sa conception et sur le mode de l’hybridation. Ou comment, pour le dire vite, Matt Reeves travaille ici à faire la synthèse de deux approches du cinéma : d’un côté celui du XXème siècle, plus ou moins achevé dans sa science de l’image, son langage propre et ses effets photographiques ; de l’autre celui du XXIème, se cherchant constamment, en mutation perpétuelle et semblant comme sur le point de rendre caduque la frontière entre film en prise de vue réelle et d’animation. Si les singes de César s’humanisent ainsi progressivement sur différents plans (intelligence, cognition et « morale »), l’expression de ces capacités nouvelles y passent en effet à l’image par le même genre d’anthropomorphisme autrefois l’apanage de Disney. Une maison, un dragon, des singes, un homme-poulpe, des aliens de trois mètres de haut, un junky multi-centenaire, des personnages au graphisme de BD, ou encore, très prochainement, un tigre, une panthère, un ours et un serpent : la perf cap permet de plier à l’expressivité humaine tout est n’importe quoi.


Aussi, ce que le trait de quelques animateurs de génie et le labeur de milliers de petites mains à leur service faisaient autrefois, le décalque le plus précis du jeu d’un acteur sur le corps virtuel de n’importe quelle création de l’esprit peut aujourd’hui l’accomplir. Et avec ceci en plus que le photoréalisme, produit du travail de fourmis d’une véritable armée d’artistes et d’autant d’ordinateurs moulinant non-stop des mois durant, y réduit toujours plus l’écart entre la reproduction photographique de la réalité et l’effet spécial produit de l’infographie. Ne pas s’y tromper cependant : animation et perf cap demeurent deux chosent radicalement différentes, l’une se passant très bien des services de l’acteur quand l’autre lui offre tout un nouveau terrain de jeux à explorer, et libéré de toute contrainte physique qui plus est. Mais le fait est que cinéma d’animation et cinéma virtuel (comme l’a assez mal nommé son inventeur Robert Zemeckis), procèdent de la même « plasticité ».


C’est-à-dire que dans un cas comme dans l’autre, les contours d’un corps (humain ou autre), sa morphologie, les traits de son visage sont de la patte-à-modeler. Toutes les mutations, toutes les hybridations, tous les effets de morphing deviennent possibles. Et ce qui, autrefois, fascinait tant Sergei Eisenstein chez Disney et, aujourd’hui, Hervé Aubron chez Pixar peut ainsi avoir toutes les apparences d’un film en prise de vue réelle. Un chimpanzé s’exprime comme un humain. Ce n’est donc pas un chimpanzé mais un bizarre mélange entre nous et notre cousin, un fantasme de chaînon manquant. Mais on y voit que du feu. On compatit, on est avec lui. Et, mieux encore, on reçoit avec à la fois la banane et la larme à l’œil la leçon d’humanisme qu’il nous sert, à nous, humains qui devrions pourtant logiquement bien d’avantage nous identifier au colonel et à ses hommes.


C’est dire la puissance littéralement sans bornes de l’empathie du spectateur lorsqu’elle est bien orientée. Et aussi le talent des acteurs (Andy Serkis, Karin Konoval, Steve Zahn, Terry Notary & Co.) qui s’affairent derrière ces maquillages et autres prothèses numériques. De quoi se dire, en fin de compte et contrairement à ce que pensent les plus mal informés, que l’humain n’est pas près de disparaître des écrans de cinéma - il s’est juste trouvé de nouvelles peaux pour toucher autrement ses semblables. Et le cinéma, pour sa part, de ne faire là que ce qu’il a toujours su faire et bien faire : du neuf (des films d’un nouveau type théorisant sur le post-humain) avec du vieux (l’humanité comme intarissable source d’histoires et matière vivante à pétrir et hybrider).


Sources, références et autres pépites :


Toshiro
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le 1 sept. 2017

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