L'histoire d'une perte, mais bien plus encore.

Attention, parce que parler de ce film oblige à dévoiler l'intrigue de ce dernier, et c'est ce que je vais faire dès à présent.

La Nosta Vita, c'est avant tout l'histoire d'une famille italienne, vue par le prisme du deuil. Le début dépeint ainsi une vie de couple et de famille épanouie, tellement qu'on se doute d'un problème en ne voyant pas la femme revenir de son accouchement. Donner la vie, c'est malheureusement parfois la perdre, même à notre époque. Et ainsi, le personnage principal se retrouve père de famille veuf, avec trois enfants à charge, dont un nouveau-né. Sa manière d'affronter la mort de sa femme, de gérer son nouveau rôle, ses choix, le film tend à les mettre en avant, tout en les contextualisant au sein des travers de la société italienne et de son fonctionnement. C'est en cela que cette histoire me semble juste et originale.

Originale, tout d'abord, parce que notre héros choisi d'affronter le deuil à sa manière. C'est-à-dire que pour ne pas sombrer et pouvoir assurer ce qu'il juge être le "bonheur" de ses enfants, dont la vie les a privé de mère (dont on reparlera du rôle plus bas), il ne fait pas semblant de garder la tête haute, il le fait. Des gens partent et arrivent, et il faut avancer, pour ceux qui restent. Il ne parle presque plus de sa femme, pas même avec ses enfants, en cache les photos, se plonge dans son travail sur le chantier en tombant dans l'illégalité pour espérer toucher assez d'argent et maintenir sa famille loin du besoin. En somme, il occulte le problème, et fait les choses à l'envers. Mais c'est sa manière de faire, et elle correspond aussi à un idéal sociétal de "l'Homme" au sein de la famille et de la "masculinité", très présente en Italie (et quoi qu'on en dise, encore bien encrée en 2020 en France). Et là, je me permets de faire une parenthèse sur la plupart des critiques que j'ai pu lire ici : beaucoup reprochent à ce personnage son "deuil rapide" et le manque de scènes qui mettraient en avant les moments de faiblesses de celui-ci. L'objectif du film est justement de montrer qu'il ne commence véritablement son deuil qu'à la fin du film, quand il en parle enfin avec ses enfants. Son erreur est d'avoir tenté de l'occulter. Puis quoi, dans sa complexité, l'humain devrait toujours réagir de manière similaire face à la perte d'un être cher ? Soit au bord du suicide, soit froidement ? Je trouve qu'ici, la nuance est intéressante et permet aussi de mettre en avant l'importance de la communication, mais surtout d'être bien entouré. Puis, la scène de la cérémonie de l'enterrement reste l'une des plus puissantes du film, selon moi.

Originale par son approche de la famille italienne. Au sein de l'organisation familiale italienne, la Mamma est centrale. Tout gravite autour d'elle, même les hommes, qu'ils soient enfants, maris ou parents. Des enfants sans mère, c'est ainsi beaucoup plus grave. Et ici, notre héros est un père veuf, isolé mais pas seul pour autant puisqu'il peut compter sur son frère et sa sœur, dont l'une des scènes, vraiment réussie, lui permet d'entamer son processus de guérison. La famille en Italie est importante, elle a ses défauts et vous ne la choisissez pas, mais c'est un pilier solide sur lequel le héros se reconstruit finalement, alors qu'il l'avait délaissé. Il n'est pas obligé de surmonter cette terrible épreuve seul, et surtout, pas en délaissant ceux qui l'aideront à avancer de la bonne manière.

Originale parce qu'on suit notre héros dans une enchaînement de mauvais choix, que le spectateur pourrait excuser un moment compte-tenu de la situation. Mais finalement, on n'arrive pas à cautionner certains de ses actes, notamment vis-à-vis de la relation qui en découle avec le jeune Andreï. Le rôle de ce dernier s'avère d'ailleurs essentiel puisque dans son dernier échange avec notre père de famille, Andreï, malgré son jeune âge, lui propose une leçon de vie tout en ne lui pardonnant pas. A sa manière, il participe au travail psychologique du père endeuillé.

Et enfin, originale parce qu'elle met en avant certains aspects de la société italienne, loin de la Dolce Vita : la grande illégalité englobant la construction des bâtiments, des appels d'offres aux immigrés sans papiers travaillant au noir et pour pas grand chose (certains semblent d'ailleurs avoir eu un travail bien plus gratifiant dans leur pays d'origine, supposant qu'ils sont partis de force et pour la survie) ; la course à l'argent et au "m'as-tu-vu" ; le racisme ; le manque de sécurité sociale ou d'aide, ne couvrant pas des ouvriers en cas d'arrêts du chantier si un cadavre y est retrouvé ou pour un père de famille veuf, etc.

Toutefois, malgré quelques jolis plans (notamment sur la plage en famille, au début), je ne qualifierai pas la mise en scène d'originale. Celle-ci reste somme toute assez classique, avec des cadrages plutôt intimistes, et une caméra centrés sur les individus seuls ou ensemble, l'intérêt du film étant avant tout ses personnages et leurs interactions.

C'est en somme un drame familial qui, sur fond de société italienne nuancée, insiste sur l'importance de savoir bien s'entourer lors d'une période aussi difficile, mais aussi et surtout sur l'importance de l’honnêteté (envers les autres et surtout, soi-même) et de la communication. Ce chemin, le plus difficile à première vue, est pourtant le plus salvateur.

Yakaledire
8
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le 14 mai 2020

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Yakaledire

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