Il nous est évidemment impossible de juger objectivement des qualités et des défauts de "La Mule", film testament - ou tout au moins qui y ressemble fichtrement - d'un réalisateur, d'un acteur, d'un homme même que nous avons tant aimé. Clint est vraiment vieux, cette fois, plus besoin de faire semblant en rigolant en coin : l'homme s'effondre et sa voix s'éteint (imitation "involontaire" de Jimmy Stewart), le super héros a posé ses costumes de cowboy et d'inspecteur, le réalisateur se repose sur un savoir-faire quasi perdu, mais qu'il espère transmettre à Bradley Cooper, ce fils spirituel qu'il s'est choisi au dernier moment - pas un mauvais choix, d'ailleurs, tant Cooper se bonifie rapidement avec l'âge...


Que l'on pense que "la Mule" a des défauts - scénario paresseux, personnages juste ébauchés, rythme poussif, complaisance dans certains clichés, etc. - ou que l'on se moque complètement de tout cela, tant il est clair que l'essentiel est AILLEURS, regarder et écouter Clint regretter ses choix - d'homme, de professionnel - et essayer cette fois de "transmettre" sa p... d'expérience à un monde qui n'écoute plus (la faute à Internet, au téléphone portable ou simplement à l'invisibilité grandissante des "vieux" - admirable ressort ici à la fois comique et dramatique de la fiction...) génère une formidable émotion... Sans doute l'une des plus grandes, les plus rares de cette année 2019.


Bien sûr, Clint reste Clint, donc "sans filtre" dans sa parole faussement "réac" (qui se rit du politiquement correct, de l'aliénation contemporaine, ce qui est évidemment facile...), mais également préoccupé des "autres", auxquels il dévoue une tendresse qui semble parfois ici sans borne : même le plus brutal des hommes de main du cartel mexicain a finalement droit à son attention, à ses conseils, à... une autre chance.


On sort de "la Mule" avec des larmes plein les yeux, mais aussi le coeur en joie : on a bien ri, on a pris un plaisir étonnant à suivre encore une fois le vieil homme sur les routes d'une Amérique toujours aussi consternante mais aussi toujours aussi enthousiasmante. Et si "la Mule" est loin des chefs d'oeuvre comme "Impitoyable" ou "Gran Torino" qui définirent pour la postérité l'héritage gigantesque d'Eastwood, son honnêteté à admettre l'indéniable "culpabilité" qui est celle de Clint, notre héros ultime, et à ne pas en faire tout un plat, le transforme en une expérience cinématographique bouleversante.


So long, Clint !


[ Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 31 janv. 2019

Critique lue 1.3K fois

43 j'aime

5 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

43
5

D'autres avis sur La Mule

La Mule
Sergent_Pepper
6

Aging mule

Alors qu’il n’avait plus joué devant sa propre caméra depuis 10 ans (Gran Torino), laissant la place à d’autres personnage en phase avec sa représentation bien trempée du héros à l’américaine, Clint...

le 24 janv. 2019

100 j'aime

4

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

81 j'aime

4

La Mule
-Marc-
9

Sérénitude

Qu’as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? Paul Verlaine, Sagesse (1881) Earl fait faillite. Tous ses biens sont saisis. Il ne peut se...

le 3 févr. 2019

50 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25